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dans l’abîme illimité de l’univers. Au lieu d’un monde inconnu et où l’imagination ne créait que de puériles merveilles, elle nous montre un monde soumis à l’éternelle régularité de lois immuables; puis, par un privilège inattendu, elle satisfait la passion de l’homme pour les prodiges, je veux dire sa passion de commander à la nature, et elle y satisfait de la manière la plus élevée, je veux dire en illuminant son intelligence. Au lieu de ces appuis imaginaires que l’homme s’était créés et qui le laissaient chétif et cruel dans un milieu inclément, elle lui donne pour appuis ces mêmes lois qui, connues dans leurs conditions, l’adoucissent en adoucissant pour lui le monde. Pensera-t-on que cet ensemble est sans efficacité sur l’état progressif des sociétés? Les sciences influent sur les grandes choses, religion, philosophie, politique; elles sont évidemment un couronnement : les civilisations qui ne l’ont pas restent dans l’enfance, celles où il s’arrête s’arrêtent. Aussi apparaissent-elles tardivement; tout commence sans elles, rien sans elles ne s’achève.


VI. — CONCLUSION.

Ce n’est pas à l’effet d’infirmer le principe du livre de M. Dupont-White que j’ai revendiqué pour le régime féodal le titre de gouvernement : je le revendique également, ce titre, pour les monarchies orientales, l’Assyrie, la Perse, l’Egypte, dont la civilisation a précédé et éclairé celle des Grecs; je le revendiquerais même pour les pauvres et chétives associations, barbares ou sauvages, qui occupent l’Afrique, l’Australie et l’Amérique. Une telle filiation ininterrompue est en soi un grave argument qui corrobore singulièrement tous les autres. On peut, il est vrai, ne considérer l’état que dans une époque ou un pays; mais il est bon d’avoir toujours devant les yeux la totalité de ce grand fait historique en vertu duquel toute société a un gouvernement. Les imperfections et les vices de ces gouvernemens, ou, pour m’exprimer d’une façon plus philosophique, leur corrélation avec le milieu social où ils sont nés ne doit pas masquer la nature fondamentale des choses. En histoire, aucune théorie n’est bonne qui rompt le fil de la continuité et de la tradition; il importe de toujours montrer que ce qu’on propose est un développement de ce qui fut. Dans l’infinie complexité, la pensée n’a pas d’autre boussole. Sans ce guide, on tombe dans les conceptions arbitraires, dans les utopies, soit qu’elles rêvent un avenir en dehors des données historiques, soit qu’elles aspirent à un passé qui ne peut revenir. Pour ceux qui traitent scientifiquement l’histoire, la tâche est maintenant de tracer les voies et moyens par où chaque présent a procédé de chaque passé. C’est, sous une autre