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évolution étant un phénomène particulier, puisqu’elle est bornée à l’espèce humaine, et se passant dans un milieu qui en est une indispensable condition, on ne peut omettre de s’instruire dans les phénomènes plus généraux qui l’embrassent, et d’approfondir le milieu qui la soutient. Voilà les deux propositions sur lesquelles doit porter le débat, si l’on veut qu’il aboutisse. Imputer à la philosophie positive d’identifier la civilisation avec les sciences exactes ou naturelles, ce n’est pas se donner trop beau jeu contre elle, c’est au contraire lui donner trop beau jeu contre vous, car qu’a-t-elle à craindre de coups qui ne sont dirigés que contre une ombre vaine? Mais elle sent trop bien la gravité des questions engagées pour se prévaloir d’attaques illusoires, qui d’ailleurs ne cesseront de l’être que quand nul ne pourra plus se méprendre sur le fond du débat. Aussi je pense n’avoir pas écrit inutilement ces lignes dans lesquelles j’explique où l’on trouvera l’adversaire que l’on cherche.

Laissons maintenant l’histoire en soi telle que la conçoit l’école positive, et terminons par quelques mots sur le rôle historique des sciences. « Si quelque chose, dit M. Dupont-White, a fait l’éducation du genre humain, ce n’est pas la pensée mathématique ou chimique, mais la pensée religieuse et philosophique. » Puis, posant que c’est par la contemplation de lui-même que l’homme a commencé à réfléchir, il ajoute : « Le souci du monde extérieur, entendons-nous, le souci scientifique ne vint qu’ensuite. » La remarque est juste, profonde, et d’un esprit habitué à ces hautes questions; mais pense-t-il que cet ordre qu’il signale lui-même est fortuit? pense-t-il que ce n’est pas une hiérarchie prescrite par la nature des choses et de l’humanité? pense-t-il que l’homme pouvait commencer indifféremment par la religion ou par la science, par la contemplation de lui-même ou par le souci scientifique du monde extérieur? Ces deux grandes créations ne sont aucunement contemporaines. Depuis longtemps les religions étaient fondées et intervenaient dans les rapports moraux des hommes, depuis longtemps la métaphysique, qui émane nécessairement des religions, avait débattu les problèmes absolus, que la science en était encore à ses plus simples rudimens; mais elle grandit lentement et peu à peu, car son œuvre, à elle, n’a rien de spontané et qui soit fourni immédiatement par l’âme humaine, jetant son premier coup d’œil sur l’ensemble des choses : elle a tout à créer, observations, méthodes et théories. Quand enfin elle a pris stabilité, consistance, prévision, puissance, alors son rôle commence, et il ne tarde pas à devenir très sérieux, non pas seulement dans les applications qu’elle procure, mais dans l’ordre intellectuel et, par lui, dans l’ordre moral. Elle aussi donne l’assaut à l’infini, mais à sa manière; elle met l’homme et la terre de l’homme à sa place