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ingrate et stérile, sans mouvement intérieur, oppressive pour la société, et livrée à la barbarie, aux ténèbres et à l’immobilité, rien ne fut plus vif et plus caractérisé que la manifestation des forces, des tendances, des besoins, des aspirations qui s’étaient préparés. Le servage tomba de toutes parts ; les communes se rachetèrent et s’affranchirent; les universités devinrent des centres d’activité intellectuelle et de puissance; les schismes éclatèrent, le pouvoir spirituel déclina, le pouvoir temporel grandit, double annonce des grandes mutations d’un âge suivant; les assemblées d’états intervinrent, et le gouvernement représentatif commença. Le travail industriel prit un développement qu’il n’avait jamais encore eu, et jeta les bases de l’existence moderne. La poudre à canon intervint dans les batailles, et indiqua, dans les affaires du monde, le rôle des sciences, qui déjà frappaient à la porte, et préludaient aux grands travaux et aux grandes découvertes. Voilà ce dont le régime féodal fut le père, et entre l’âge romain, dont il provient, et l’âge moderne, qui provient de lui, il est impossible de ne pas lui assigner les facultés qui lui font recevoir d’une main et transmettre de l’autre l’héritage social.

Le régime féodal n’est point le triomphe de l’individu et de l’individualisme. Je dirai même que c’est une avance vers ce développement que M. Dupont-White attribue à l’état. Il fallait, passant de l’antiquité à un autre âge, changer le but de l’activité sociale, lequel était la guerre et la conquête, et lui indiquer le but industriel, lequel plus tard devait prévaloir. Ce grave renversement fut préparé par la féodalité, dont le régime mena à bien les grandes et puissantes cités industrielles. Jamais les métiers n’avaient joué pareil rôle dans le monde. Maintenant joignez une religion de qui le devoir fut d’enseigner régulièrement une morale commune à tous, et vous avez l’histoire du moyen âge aussi bien dans ce qui la détermine que dans ce qui lui assigne un caractère progressif.


V. — LES SCIENCES.

Il me semble que d’ordinaire le rapport des sciences avec l’histoire n’est pas apprécié comme il doit l’être, et que M. Dupont-White à cet égard ne se tire pas de l’opinion commune. Ce qui me porte à juger ainsi, ce sont les passages que je vais citer. «Je ne connais pas, dit-il, de civilisation fondée sur la géométrie et la chimie. Ce n’est point par les sciences que le monde marche. Est-ce que la Chine a fait un pas en avant pour avoir découvert la boussole, l’imprimerie, la poudre à canon? Les sociétés n’avancent que si elles ont un but qui les attire, en s’adressant à l’homme tout entier, et ce but, cet idéal, c’est l’esprit seul qui le découvre, dans la