familier à tout le monde, celui des langues novo-latines. Il est certain qu’au moment où l’empire romain s’écroula et où les Barbares y établirent leurs dominations diverses, le latin se corrompit profondément. Le moindre coup d’œil sur les textes de ces temps-là, sur les manuscrits, sur les actes, révèle la barbarie qui déforme cette belle langue. Tout s’altère : les conjugaisons ne sont plus respectées, les cas sont employés les uns pour les autres, et des règles essentielles de la syntaxe ont péri. C’est là une part certaine, incontestable de corruption qui correspond à tout ce qui dégénéra dans l’ordre politique. Mais attendez un peu, ne jugez point avec précipitation, ou plutôt tenez vous pour assuré que le noble langage latin, qui se décompose et se détruit, ne donnera naissance à rien qui soit indigne de lui. En effet de cette confusion en partie réelle, en partie apparente, sortirent quatre beaux et puissans rejetons : l’italien, l’espagnol, le provençal et le français. Qui peut contester à une pareille descendance et le sang paternel, et la beauté innée, et la beauté acquise?
Dans une série d’études qui ont eu pour objet les langues novo-latines, et en particulier le vieux français ou langue d’oïl, non-seulement j’ai essayé de faire voir combien il y eut de création quand les nations latines transformèrent un idiome qui finissait en des idiomes qui naissaient, mais encore j’ai expressément rattaché cette œuvre de rénovation à la rénovation sociale, soutenant qu’on avait là, écrite dans l’histoire de la langue, l’histoire exacte du déchet et du profit, de la corruption et de la régénération, de la décadence et de la renaissance, de la barbarie et de la culture, lors de la grande transition. La langue, la grammaire, la syntaxe, la versification sortirent de ce chaos vivantes, actives et aptes à la pensée moderne. Ne doutez pas que les opinions et les mœurs, les institutions et la politique n’aient eu même fortune. Philosophiquement examinées, les langues novo-latines, dans leur caractère mixte de décomposition et de recomposition, fournissent la notation la plus précise du double mouvement qui produisit le régime féodal.
C’est ici qu’il faut considérer de qui le régime féodal fut le père. Ce régime n’eut pas une durée extrêmement longue; dès le XIVe siècle, il était en dissolution. Et comme nulle invasion ne le troubla et n’y jeta des élémens étrangers auxquels on pourrait attribuer la dissolution, elle provient, cela est évident, de la nature même du régime et des tendances qui y étaient inhérentes. Néanmoins, pour qu’un pareil phénomène de transformation se produise, pour qu’un ordre nouveau sorte d’un ordre ancien, il faut qu’une élaboration progressive des opinions et des mœurs ait prévalu, rendant impossible l’ordre ancien et réclamant l’ordre nouveau. Telle fut en effet la marche des choses. Loin que le régime féodal eût été une époque