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villes se sont conservées, ou, quand elles ont fait défaut, d’autres se sont élevées; l’Allemagne, qui n’en avait pas une, montra bientôt, en place de ses vastes forêts, des murailles, des tours et des clochers; les routes et les ponts furent entretenus ou construits. On combattit les Huns, les Hongrois, les païens du Nord, les Slaves, les musulmans, on organisa même les gigantesques expéditions des croisades; auprès des cathédrales s’éleva partout l’école, et bientôt de là sortirent les universités. Pourquoi refuserais-je le nom d’état là où les fonctions essentielles de l’état sont remplies?

Entrons un peu plus avant. Sur l’Europe féodale plane une autorité centrale qui est la papauté; elle intervient par ses légats entre les princes qui guerroient, entre les seigneurs qui violent la morale religieuse. Des conciles de toute la chrétienté s’assemblent; on s’occupe de la discipline, des cas difficiles de juridiction ecclésiastique, du règlement des mœurs; en un mot, tout l’ordre spirituel dans ses rapports avec la société passe par la discussion de ces assemblées. Bien aveuglé par les préjugés serait celui qui ne reconnaîtrait pas la grandeur et la nouveauté de ces délibérations. Des congrégations religieuses qui avaient des maisons sur la face entière de l’Europe et même en Asie convoquaient parfois, au sein de l’abbaye centrale, les représentans de tous ces couvons, et délibéraient sur la conduite de communautés qui embrassaient tant de pays et tant d’intérêts matériels et moraux. L’autorité religieuse ainsi constituée, cruelle et impitoyable pour l’hérésie, n’en exerçait pas moins la salutaire influence qui appartient à une doctrine uniquement occupée de l’ordre spirituel et chargée d’en rappeler les devoirs à chacun. Pendant ce temps, dans l’ordre temporel, le servage se substituait complètement à l’esclavage, et se consolidait tellement qu’il allait prochainement devenir le point de départ d’une nouvelle évolution. Crest dans ce milieu que se formèrent les deux types caractéristiques du moyen âge : le chevalier, qui sent naître en lui les nobles inspirations du dévouement aux faibles et de l’honneur raffiné, et la dame, pour qui la poésie idéalise l’amour.

il est encore un autre moyen d’apprécier un régime, c’est de considérer de qui il est fils et de qui il est père.

Le régime féodal est le fils du régime romain. A la vérité on dira que c’est un fils dégénéré, également abâtardi par la corruption spontanée de l’empire et par l’immixtion des Barbares. Je ne nie point ces deux causes d’abâtardissement, elles furent réelles et puissantes; mais n’y eut-il pas aussi des causes d’ennoblissement et d’amélioration qui les rachetèrent, et au-delà? Soyez sûrs d’abord qu’il ne faut pas compter pour peu d’avoir dans ses ancêtres historiques Rome maîtresse du monde et élève de la Grèce. Bon sang ne peut mentir complètement. Pour le montrer, je ne citerai qu’un fait