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le but de la science abstraite de l’histoire; les régir est le but de l’art politique. Les connaître ne fait que poindre; les régir a été de tout temps. Je suis d’accord avec M. Dupont-White que l’état est un organe grandissant avec la civilisation, mais en même temps je tiens à montrer sa subordination réelle, son empirisme dans tout le passé de l’histoire, la cause de ses succès et de ses fautes, et la juste espérance qu’une combinaison de l’histoire abstraite avec l’histoire concrète diminuera la somme de ses fautes et accroîtra la somme de ses succès.


III. DE L’EMPIRE ROMAIN.

M. Dupont-White me contestera peut-être le droit de faire intervenir, dans le sujet de son livre, l’empire romain. Du moins il a pris soin, en quelques passages, de décliner une comparaison avec les ordres sociaux des temps passés, et d’appliquer particulièrement ce qu’il dit à l’état moderne, qui, n’étant plus un instrument d’exploitation du commun par les privilégiés, a dorénavant pleine conscience de sa fonction d’utilité publique. J’avoue que je ne puis entrer dans cette distinction : elle me paraît accidentelle, non pas essentielle. Quelle qu’ait été la forme de la société, il y a toujours eu des affaires collectives pour lesquelles un gérant est indispensable, et ce gérant, c’est l’état. Dans l’opinion de M. Dupont-White, ceci est vrai, qu’à mesure que croît la civilisation, l’état devient moins particulier et plus universel, moins âpre et plus équitable, moins ami des privilèges et plus ami de la règle; mais, pour cela, je ne voudrais pas rompre l’enchaînement des choses. Est-il dans l’histoire un seul point où l’on puisse marquer la solution de continuité? Et à travers toutes les modifications imprimées par le temps, le progrès et les révolutions, ne voit-on pas que l’état reçoit par tradition des parties essentielles et constitutives? La révolution française elle-même, si novatrice, que n’a-t-elle pas conservé! L’état de Louis XIV ne venait-il pas de plus loin, et ainsi de suite de proche en proche jusqu’aux temps les plus reculés, de sorte que l’état le plus moderne a des racines qui plongent à l’infini dans l’histoire? Ce serait rapetisser l’idée de l’état et lui infliger un caractère de contingence que de n’y pas voir une évolution concomitante de tout le reste. Aussi ne crois-je faire aucun tort à la pensée du livre de M. Dupont-White en introduisant dans le cercle qu’elle embrasse quelques remarques sur l’empire romain.

Le terme auquel aboutit un système en est le jugement; je veux dire que le terme, devant être atteint, permet de prononcer si le système a été favorable ou contraire à l’avènement qui était au bout. Les deux grandes fins de l’empire romain ont été dans l’ordre