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M. Dupont-White entend expressément l’état. Or est-il vrai que ces lois n’aient pas d’autre mode d’agir? Est-il vrai que l’état ait avec elles une union intime et indissoluble? S’il est parfois leur organe, l’est-il toujours? Et n’y a-t-il pas des époques où la scission éclate, et où les lois naturelles prennent le dessus et rompent avec lui?

Je résume, avant d’examiner cette question, les idées essentielles de M. Dupont-White. L’état croît avec la civilisation, son rôle augmente en étendue et en élévation. L’individu n’est pas destiné à le supplanter, et la tendance n’est pas d’atténuer ou d’anéantir la gestion collective. La société non gouvernée, ainsi que l’appelle M. Guizot, c’est-à-dire celle qui par elle-même, et en vertu de sa propre moralité, obéit non-seulement aux lois écrites, mais encore aux lois non écrites d’une conscience supérieure et plus délicate, bien loin de rendre inutiles les attributions de l’état, est cause que ces attributions prennent un caractère plus désintéressé et plus équitable. La civilisation étant une complication des rapports sociaux, il est contradictoire de prétendre que l’état ne se complique pas simultanément.


I. — DES LOIS NATURELLES DANS LEUR RAPPORT AVEC L’ÉTAT.

Je mets en tête cette expression de lois naturelles, parce que M. Dupont-White s’en est servi; mais elle me paraît vague et indécise, et j’y substitue celle de lois de filiation, c’est-à-dire que, dans l’histoire, ce qui suit est toujours déterminé par ce qui a précédé. Maintenant que résulte-t-il de cette détermination successive du présent par le passé? En d’autres termes, quelle est la marche de l’humanité? Cela se rend par civilisation ou progrès, que je définis : plus de connaissance dans l’ordre intellectuel, plus d’équité dans l’ordre moral, plus de puissance dans l’ordre matériel.

Il n’est aucune science où les questions soient aussi difficiles à traiter qu’en histoire. Cette difficulté supérieure, plus grande là que partout ailleurs, tient à la complexité du sujet, de tous le plus complexe. Tout agit dans l’histoire, non-seulement l’histoire même et la loi qui lui est propre, mais aussi les conditions de l’existence des corps vivans et les conditions du monde inorganique. Nulle part les organes ne sont si nombreux, les influences si variées et le mécanisme si compliqué. A peine touche-t-on un point, qu’aussitôt on voit apparaître une suite infinie de connexions qu’on n’avait pas d’abord aperçues. Ecarter ces connexions et saisir le point dans sa simplicité est un travail auquel la plus grande contention d’esprit ne suffit que dans des cas heureusement choisis. Pour peu qu’on ne se méfie pas de tant d’actions et de réactions qui se croisent, tout se