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solution du pape, qui commençait à être connue : « J’ai honte, je suis tourmenté de n’être bon à rien ici, tandis que vous, messieurs, vous faites si bien et si dignement là-bas. » Il ne faut pas oublier que cet homme inutile présidait le conseil des ministres.

A la fin d’avril 1848, Balbo, n’y tenant plus, part pour le théâtre de la guerre. Charles-Albert était à quelques lieues de Vérone, et se préparait à disputer à Radetzky une forte position qui assurait le libre passage de l’Adige. Le 30 avril, après que les soldats eurent entendu la messe, la bataille fut engagée à onze heures du matin. Malgré l’heure avancée, les Piémontais enlevèrent les positions ennemies après cinq heures de lutte. César Balbo, qui se battit avec ses cinq fils pendant toute la journée, disait que jamais il ne s’était trouvé à pareille fête. « Il y eut à ce combat, dit-il dans un appendice au Sommario, onze soldats du même nom et de la même maison[1] ; » cette maison était la sienne. « L’indépendance avant tout,» avait-il dit dans ses livres; la guerre avant tout, disait son cœur. Plus gentilhomme que citoyen, il n’estimait pas les travaux d’un ministre constitutionnel à l’égal des dévouemens périlleux d’un soldat. Il avait toujours aspiré à la vie des camps, qui s’allie mieux qu’on ne croit à des habitudes méditatives. « Ma place est à l’armée, » disait-il souvent. Au moins eut-il la joie de prendre part à la guerre sainte. Ce ne fut qu’un jour, il est vrai; mais ce fut un jour de bataille! En revenant occuper son poste à Turin, Balbo vit à Milan le comte Casati, président du gouvernement provisoire, et lui parla de la question brûlante du moment, l’annexion de la Lombardie au Piémont. La démocratie exigeait comme condition de l’annexion une constituante lombarde, qui déciderait de tous les points douteux. Des rivalités municipales s’en mêlaient, Turin craignant d’être dépossédée en faveur de Milan de sa qualité de capitale du royaume. César Balbo voulait qu’on décrétât l’annexion pure et simple; la clause révolutionnaire d’une constituante fut cependant maintenue par les Lombards : triste symptôme de dissentimens qui allaient éclater au premier jour! Le ministère Balbo, qui avait raison de craindre la révolution en Italie, fut moins bien avisé en attendant jusqu’au mois de juillet pour reconnaître la république française. Il eût mieux valu alors compter sur la France que sur Rome. Quoi qu’il

  1. Il ajoute quelques exemples de l’ardeur qui animait les Piémontais. Un vieux colonel en retraite, dit-il, porte le fusil pendant toute la première guerre. Sept frères Brunetta font les deux campagnes. Un enfant quitte sa famille et s’en va faire le coup de fusil devant Peschiera; il reçoit une balle dans son chapeau, vient tout fier à Turin montrer le chapeau troué à sa mère, et retourne se battre à Pastrengo. A l’académie militaire, les élèves des cours supérieurs étant partis pour l’armée, les autres se soulèvent, prétendant qu’à défaut de science leurs dix-huit ans leur donnent le droit de se battre ; on leur refuse le grade d’officier, ils partent comme sous-officiers, etc.