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venait de regagner son petit sloop, que le mousse, par une manœuvre habile, avait su maintenir à portée du canot.

— Pas même un petit verre de rhum pour se réconforter!... dit-il à demi-voix. C’est égal, le voilà sauvé!... Le flot est bien dur tout de même, j’en ai les bras rompus... Et dire que le bon Dieu a amené là un pauvre diable comme moi, tout malheureux, tout chagriné, exprès pour tirer de l’eau ce beau monsieur qui s’amusait à périr!... Ah! bon, les voilà qui applaudissent là-bas! Merci, messieurs et mesdames, je n’ai pas le temps de vous faire la révérence...

La satisfaction d’avoir accompli un acte de courage réconfortait Jean-Marie mieux que ne l’eût fait un verre de rhum; c’est un grand bonheur de se sentir bon à quelque chose quand on désespère de soi-même. Après avoir remis en route son petit navire, le marin secoua ses cheveux humides, et essuya avec sa chemise de laine ses épaules imprégnées d’eau salée. Une averse de pluie vint, le rafraîchir plus que de besoin : il n’y prit pas garde; ses regards se tournaient involontairement du côté de la jetée, où la foule, s’abritant sous des parapluies, escortait avec une curiosité indiscrète le jeune homme retiré des eaux que l’on reconduisait à sa demeure. Bien des gens, arrivés trop tard pour assister à la scène émouvante dont le bruit se répandait par toute la ville, s’en faisaient raconter les péripéties. On leur montrait du doigt la pauvre petite barque qui courait des bordées dans la direction du cap Fréhel, tantôt cachée sous les vagues, tantôt bondissant sur des flocons d’écume. Pendant toute la journée, on ne parla que du courageux Jean-Marie Domeneuc, si bien que la belle Victorine, oubliant ses récens dédains, se vanta tout haut de le connaître depuis longtemps, et même d’avoir fait la veille en sa compagnie, sur son sloop, une traversée de plus de trois heures.

Si Jean-Marie n’entendait pas un mot de tous les complimens qui s’adressaient à lui, au moins l’écho des applaudissemens de la foule était arrivé, à travers le bruit du vent et des vagues, jusqu’à son oreille. Il en avait tressailli de joie. Vers le soir, le temps se remit au beau; le soleil, souriant à travers les nuages, étendit sur la mer une teinte rose nuancée de reflets violets. Le sloop, à l’ancre au fond de sa petite baie, se balançait si mollement sur les flots calmés, que le patron et le mousse, assis sur le bord l’un auprès de l’autre, tranquilles et reposés, s’abandonnaient silencieusement à leurs rêveries. L’enfant se disait qu’il faisait bon se chauffer le dos au soleil couchant, les bras croisés, après une journée laborieuse. Jean-Marie se demandait s’il ne vaudrait pas mieux pour lui renoncer à son métier de caboteur et reprendre du service à bord des navires de long cours. Cette tiède soirée lui rappelait la fin du jour sous les