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La nuit de Walpurgis, avec le chœur de sorcières qui en exprime l’horreur, n’ajoutera rien à la réputation de M. Gounod, qui a mieux réussi ailleurs dans ce genre fantastique, témoin le morceau symphonique de la scène des ruines dans la Nonne sanglante. Je ne trouve à signaler dans tout le cinquième acte que quelques passages du duo de la prison entre Faust et Marguerite, particulièrement la terminaison en trio lorsque Méphistophélès vient presser le départ des deux amans.

Je ne pense pas qu’aucune partie remarquable de la nouvelle partition de M. Gounod, qui est un véritable grand opéra par le développement du style et l’absence presque totale du dialogue, ait été oubliée dans l’énumération soigneuse que je viens d’en donner. J’ai signalé au premier acte la petite symphonie pastorale qui annonce le jour, le chœur qui se chante derrière les coulisses, et certains détails d’orchestre pendant la vision de Marguerite filant à son rouet; au second acte, le chœur des vieillards et toute la scène dont il est un épisode, la valse délicieuse, avec l’accompagnement des voix, et certains accens de Marguerite lorsqu’elle est saluée par Faust ; au troisième acte, qui est le plus remarquable de tous, la scène poétique du jardin et le dialogue d’amour entre Faust et Marguerite ; au quatrième acte, le chœur des soldats avec la marche militaire, la mort de Valentin et la scène de l’église; au cinquième et dernier acte, quelques élans du duo de la prison. Mais ce qu’on ne saurait trop louer dans l’œuvre de M. Gounod, c’est la distinction constante du style, c’est le goût parfait qui éclate dans les moindres détails de cette longue partition, c’est le coloris, l’élégance suprême et la sobriété discrète de l’instrumentation, où se révèle la main d’un maître, et d’un maître qui s’est abreuvé aux sources pures et sacrées. Nous l’avons déjà remarqué, et il est bon et juste de le redire, dans plusieurs passages de la nouvelle partition de M. Gounod, particulièrement dans le quatuor ou le double dialogue de la promenade au jardin, on sent circuler des harmonies chastes et profondes, des accens et des soupirs contenus qui rappellent la manière de Mozart. Je ne saurais faire un plus grand éloge de l’œuvre d’un compositeur moderne. Voici maintenant quelles sont nos réserves, voici les raisons qui nous forcent à dire que M. Gounod n’a pas atteint entièrement le but qu’il se proposait.

Ce qui fait le mérite du poème de Goethe, et ce sont de bien pauvres esprits, ceux qui n’ont pas vu cela, c’est l’alliance du merveilleux et des sentimens humains, la superposition de l’élément fantastique et terrible sur les caractères et les passions de la vie. Otez Méphistophélès et les événemens surnaturels dont il est l’agent, et vous n’avez plus qu’une fable ordinaire, l’amour d’un pauvre philosophe tout barbouillé de métaphysique pour une jeune fille allemande assez insignifiante. Marguerite n’est plus alors l’image chaste et résignée des vertus domestiques et de la poésie du foyer, ce n’est plus la victime sacrée de l’esprit du mal rachetée à la fin par la sincérité et la profondeur du sentiment, et criant du haut du ciel où l’élève son amour: Henri!... Henri!... On pourrait mettre à la fin du poème de Goethe ce vers qui termine la Divine Comédie de Dante Alighieri et qui résume la donnée des deux épopées :

L’amor che muove il sol e l’altre stelle.