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réciter un chef-d’œuvre de Corneille ou de Racine par des Auvergnats purs et sans mélange? Eh bien! le crime commis par la direction du Théâtre-Italien n’est pas moins grand, et c’est pour cela sans doute qu’on lui donne cent mille francs de subvention par an ! Ah !

Peuple finançais, peuple de braves,


tu n’auras donc jamais d’oreilles que pour applaudir la Marseillaise ou les insignes bouffonneries de M. Offenbach! Il y eut presque une émeute au foyer du Théâtre-Italien à la seconde soirée de cette triste parodie du Don Juan. Je fus littéralement assailli par un groupe d’amateurs indignés qui, ne sachant à qui s’en prendre de leur mécompte, me faisaient l’honneur de m’interpeller sur la cause d’un mal qui vient de haut. L’un de ces amateurs irrités creva son chapeau d’un grand coup de poing en disant : « Je veux qu’il me reste un souvenir durable de cette soirée, » et il quitta la salle à la fin du premier acte. Je m’empressai de suivre un si bel exemple, mais en épargnant mon chapeau, qui n’en pouvait mais.

Le Théâtre-Lyrique avait grand besoin de réparer le dam que lui a fait la belle trouvaille de la Fée Carabosse. C’est pourquoi il préparait depuis longtemps la mise en scène d’un ouvrage considérable, sur lequel, comme on dit, il fondait les plus grandes espérances. C’est le Faust de M. Gounod, opéra en cinq actes, qui a été représenté pour la première fois le 19 mars, devant une nombreuse et sympathique assemblée. C’est toujours une grande témérité à un artiste de s’attaquer à un sujet connu, et d’avoir à répondre aux exigences de l’imagination publique, surtout quand ce sujet est, comme celui de Faust, une conception vaste et de l’ordre le plus élevé. Chacun semble autorisé alors à demander au peintre ou au musicien qui traduit dans son art l’idée du poète créateur une ressemblance, une fidélité d’impression qui le rend souvent injuste pour l’œuvre nouvelle qui se produit devant lui. D’autre part, il peut y avoir quelques avantages pour le compositeur dramatique à s’inspirer d’une donnée populaire qui s’impose à l’attention du public, et le tranquillise au moins sur l’issue de la fable que doit illustrer le musicien. Tout bien compensé cependant, le danger me semble plus grand que les avantages dans cette lutte contre un sujet qui, depuis cinquante ans, est devenu un thème fécond pour tous les arts.

Faust, qui a coûté à Goethe trente ans de labeur et de méditations, et dont la donnée lui a été fournie par une vieille légende populaire du XVIe siècle, est moins une pièce de théâtre qu’un poème, l’épopée de l’esprit germanique, mélange curieux de sentimentalité et d’abstraction, de lyrisme naïf et de profondeur métaphysique. Ces deux grandes tendances de la race allemande sont représentées par le caractère tourmenté de Faust et la figure touchante de Marguerite. Les autres personnages tels que Valentin, la vieille Marthe, Wagner, l’étudiant, etc., sont mis là pour compléter la peinture de la vie commune et bourgeoise, au-dessus de laquelle s’élève Méphistophélès avec le merveilleux terrible qui répond à l’imagination du peuple ; car c’est une loi de l’épopée que le merveilleux corresponde aux mœurs de la nation à qui on la destine, que la peinture du monde surnaturel soit en harmonie avec les croyances de la foule. De tous les arts qui se sont inspirés de la