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mon cher neveu ? Quand le vent de tramontane souffle pendant l’équinoxe, il faut rester chez soi tranquillement, au coin du feu, et ne point courir sur les bords de la mer comme une âme en peine poursuivie par le diable. Du reste, il se mêle beaucoup trop de vos affaires, comme je vous l’avais prédit. Prenez garde, vous vous consumez dans des douleurs stériles, dont vous développez lâchement le germe qui était en vous, au lieu de l’étouffer. Gardez vos forces pour l’avenir, il vous réserve peut-être un malheur réel qui ne sera que le châtiment de votre faiblesse égoïste.

— Mais dites-moi donc ce que vous prévoyez, ce que vous savez ! lui criai-je avec emportement ; éclairez-moi, si vous m’aimez, et ne parlez pas toujours par indéchiffrables énigmes.

— On est toujours puni des tourmens immérités qu’on inflige aux innocens, me répondit ma tante, et souvent c’est l’amitié qui venge l’amour opprimé.

À ces mots, elle me quitta, et je restai plus indécis que jamais, indécis sur mon sort, mais non sur ma résolution, car je la sentais en moi qui me poussait invinciblement vers le mal. « Je joue avec notre bonheur ! » me disais-je souvent en me répétant les paroles d’Annunziata, et néanmoins je n’avais plus qu’une idée, une seule, devenue impérieuse et fixe, qui me soufflait ses conseils détestables : je voulais exiger d’Annunziata qu’elle me remît le coffret, et je voulais le détruire. Après ce dernier sacrifice, je me croyais assuré de trouver le repos. « La vie de son passé sera close, me disais-je, et je pourrai enfin vivre heureux. » Le sentiment de honte qui m’avait forcé à respecter cette sainte dépouille d’un mort me paraissait à cette heure une absurde faiblesse. « A quoi bon ces souvenirs et ces regrets ? pensais-je. Ne dois-je pas lui suffire ? » Sot et coupable que j’étais ! j’ai compris plus tard qu’en déchirant son cœur j’y avais brisé mon image.

Je l’obtins un jour, ce sacrifice impie que je regardais comme indispensable à mon bonheur. Je vous fais grâce des mille subterfuges déloyaux que je mis en œuvre pour en arriver là, et de la scène douloureuse que mon exigence fit naître entre Annunziata et moi. Lorsqu’elle me vit en possession de ce coffre où reposait cette relique que je voulais anéantir, lorsqu’elle me vit le jeter au feu et le regarder brûler avec une sorte de joie farouche, elle leva les yeux vers le ciel, et, paraissant parler à un être invisible : — Grâce pour nous deux ! dit-elle.

L’homme était toujours couché dans son cœur ; il n’avait pas fait un geste, n’avait même pas soulevé ses paupières, mais deux grosses larmes coulaient lentement sur ses joues. A cet aspect, une incommensurable pitié me saisit, le remords m’accabla, et je me sauvai, battu par ces contradictions violentes qui me ballottaient de leurs tem-