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d’hui, courbées sous le joug, traitées en pays conquis, les provinces italiennes ne gardent que ce qu’il est impossible de leur arracher; l’Autriche suce le plus pur de leur substance. Cependant, si énorme que soit le produit qu’elle en tire, qui calculerait froidement ce que coûtent la garde et la surveillance de cette belle révoltée trouverait probablement que les profits ne balancent pas les charges, et la conséquence de ce calcul serait que l’Autriche gagnerait beaucoup à se débarrasser de la furie qu’elle tient attachée à son flanc.

Ces réflexions ont dû venir à beaucoup de bons esprits en Autriche, peut-être même ceux qui gardent le plus immédiatement l’Italie se sont-ils souvent dit que le geôlier n’est pas beaucoup plus libre que sa victime. Malheureusement les hommes n’écoutent la raison qui froisse leurs passions et leur orgueil que lorsqu’elle est appuyée sur la force; la raison, la clémence et cent autres vertus n’entrent guère dans les âmes qu’à la suite du malheur, et sans parler des races dissidentes, les trois quarts des sujets allemands de l’empereur d’Autriche seraient persuadés des avantages de l’affranchissement de l’Italie que le quart restant s’y opposerait et l’emporterait sur la majorité. L’empereur François lui-même, qui parlait si bien au prince de Ligne, obéissait sans s’en apercevoir au souvenir des batailles de Fleurus et de Jemmapes. C’est de là que venaient sa sagesse et sa mansuétude, il est permis de le croire, car on n’a jamais dit qu’avant d’être éclairé par ces grands événemens, il ait eu l’idée de constituer une Belgique indépendante, et d’accomplir à lui seul, ce qui eût été infiniment glorieux, l’œuvre de vingt-cinq années de guerre et du concours de toutes les grandes puissances de l’Europe. Cela ne veut pas dire qu’aucun des successeurs de l’empereur François ne sera plus sage et plus prévoyant que lui; mais, sans désespérer de la sagesse et de la modération des hommes, il est rarement prudent de compter exclusivement sur elles, et il sera longtemps à propos d’étudier les forces, les passions, les préjugés même des amis qui peuvent être demain nos ennemis, et des ennemis qui peuvent être demain nos alliés.


J.-J. BAUDE.