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est probable que le gouvernement autrichien a dû prendre ses précautions pour éloigner du théâtre de la guerre tous les militaires qui lui inspireraient quelque défiance. Une fois dispersés et relégués dans des provinces fidèles, privés de tout moyen d’initiative et d’un centre d’action, il leur sera difficile de ne pas rester dans le devoir. Quant à l’effectif réel de l’armée, il serait très délicat d’indiquer un chiffre même approximatif, car les documens officiels sont volontairement rendus inexacts, et les chiffres qui peuvent inspirer le plus de confiance peuvent se trouver modifiés d’un jour à l’autre ; nous ne saurions même dire ce qu’il faut croire du nombre de 140,000 hommes que l’on annonçait au commencement de février comme celui des soldats présens en Lombardie. Il n’avait rien d’improbable, et a dû être fort augmenté depuis. D’après notre appréciation, l’Autriche, sans trop dégarnir ses autres frontières et sans s’imposer des efforts trop exagérés pour être continués, pourrait mettre en ligne dans ce pays 200, 000 hommes capables de soutenir honorablement la comparaison avec quelque armée que ce soit.


II.

La Haute-Italie, que cette armée aurait à défendre, forme une sorte de champ clos environné presque complètement par les Alpes et la mer. Elle s’ouvre seulement au sud vers la péninsule pour se relier à de petits états mis par leur exiguïté dans la dépendance complète des maîtres plus puissans qui ont dominé depuis des siècles la Lombardie et les versans des montagnes. A moins d’arriver par mer dans les ports peu nombreux qui sont placés au-delà de la ligne des crêtes, il faut se résigner à traverser celles-ci avant de pouvoir opérer dans la plaine, et dans le cas d’une guerre, celle des puissances belligérantes qui aura pu se ménager le système de routes stratégiques le plus favorable aura par cela même une grande supériorité. On reconnaît généralement que toutes les voies de communication n’offrent pas des avantages égaux pour des opérations militaires ; mais depuis le commencement de ce siècle on ne semble plus croire que le passage de montagnes aussi élevées que les Alpes puisse offrir des difficultés presque insurmontables à une armée. Il peut en être encore ainsi cependant, et les siècles passés avaient raison de regarder une telle traversée comme l’un des actes les plus périlleux et les plus éclatans que pût accomplir un général. Toujours il y aura un immense danger dans la position d’une armée qu’une chaîne aussi haute séparera de sa base d’opération, et elle devra craindre d’être surprise et défaite avant d’avoir réuni ses ressources.