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festèrent à la Banque pour l’échange des billets qu’elle avait mis en circulation. Le numéraire manquait; elle fut donc forcée de réduire ses échanges, et dans la journée du 3 vendémiaire, lendemain du départ de l’empereur, elle ne put échanger que pour environ cinq cent mille francs, en ne recevant qu’un seul billet de mille francs par chaque individu qui se présentait. Les murmures éclatèrent : on accusa la Banque, ou du moins les principaux actionnaires, de faire le commerce du numéraire, et d’en avoir exporté une grande partie. D’autres faisaient retomber les causes de cette disette d’argent sur le gouvernement et sur les emprunts qu’on supposait qu’il avait faits à la Banque; mais cette dernière accusation n’était nullement fondée. »

Les dispositions pacifiques de la population éclataient en toute circonstance. Lorsque, avant la bataille d’Austerlitz, on apprit que deux plénipotentiaires autrichiens s’étaient présentés au quartier-général français, cette nouvelle, que Joseph, placé pendant l’absence de l’empereur à la tête du gouvernement, fit annoncer dans les spectacles, y excita de véritables transports de joie. Napoléon fut très mécontent de l’empressement qu’avait mis son frère à donner tant de consistance aux bruits de paix. « Je suis fâché, lui écrivit-il, de l’éclat que vous avez donné à la nouvelle de l’arrivée des plénipotentiaires,... et que vous ayez la faiblesse de céder aux discours de gens qui ne parlent que de paix. Ce n’est pas la paix, ce sont les conditions de la paix qui sont tout, et la question est trop compliquée pour qu’un bourgeois de Paris puisse la connaître. Je n’ai pas coutume de soumettre ma politique aux discours des oisifs de Paris. Mon peuple sera toujours satisfait lorsque je le serai. J’exécute toujours ce que j’ai dit, ou je meurs. Tel qui crie aujourd’hui après la paix blâmera les conditions que j’aurai acceptées. Il ne faut pas laisser égarer l’opinion par les journaux. Je suis particulièrement très mécontent du Journal de Paris et des articles qui y sont insérés depuis quelque temps. Il n’y a que des sols ou des intrigans qui puissent penser et écrire ainsi. » Le rédacteur du Journal de Paris était alors M. Rœderer, un des amis de Joseph.

La victoire d’Austerlitz, bientôt suivie de la paix triomphante de Presbourg, mit un terme à cette agitation, et pour quelque temps l’opinion, qui commençait à se détacher de Napoléon, lui redevint favorable. Pour l’Europe comme pour la France, c’est alors qu’il prit rang véritablement parmi les souverains, et que son trône parut affermi. Les immenses résultats qu’il venait d’obtenir étaient incontestablement dus aux profondes combinaisons de son génie. Il ne les avait achetés ni par ce prodigieux déploiement de forces, ni par ces effroyables immolations de victimes humaines, ni par ces dévastations impitoyables qui devaient, dans les guerres postérieures,