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reste, reprit le premier consul après quelques minutes d’intervalle, j’ai fait connaître au sénat les détails de la correspondance organisée par Drake (envoyé d’Angleterre à Munich) ; le conseil en sera également instruit : il verra quels sont les principes que suivent les ministres anglais, et si nous devons bien des égards à ceux qui, sous le manteau d’un caractère diplomatique, organisent l’assassinat… On verra quels ménagemens peut mériter une famille dont les membres se sont faits les sicaires de l’Angleterre….. Que la France ne s’y trompe pas ? Elle n’aura ni paix, ni repos jusqu’au moment où le dernier individu de la race des Bourbons sera exterminé… J’ai fait juger et exécuter promptement le duc d’Enghien pour éviter de tenter les émigrés rentrés… J’ai craint que la longueur d’un procès, la solennité d’un jugement, ne réveillassent dans leur âme des sentimens qu’ils n’auraient pu s’empêcher de manifester, que je ne fusse obligé de les abandonner à la police, et d’étendre ainsi le cercle des coupables… Au surplus, il a été jugé par une commission militaire, et il en était justiciable : il avait porté les armes contre la France… Par sa mort, il nous a payé une partie du sang de deux millions de citoyens français qui ont péri dans cette guerre. On verra par les papiers saisis chez lui qu’il n’était établi à Ettenheim que pour être à portée d’entretenir une correspondance dans l’intérieur de la France. Je l’ai fait arrêter dans le margraviat de Bade. Qui sait si je n’aurais pas pu faire également enlever à Varsovie les autres Bourbons qui s’y trouvent ? Croit-on que c’est sans mon aveu qu’il en existe à Varsovie ? C’est uniquement avec mon consentement. Paul… m’avait proposé lui-même d’éloigner les Bourbons de ses états. L’Autriche n’en a souffert aucun chez elle, et actuellement je ne ferai la paix avec l’Angleterre que lorsqu’elle aura consenti à l’expulsion totale des Bourbons et des émigrés. Il fallait cependant leur laisser un lieu à habiter : Varsovie fut choisi, et j’y consentis. J’allai même plus loin : sur la proposition du roi de Prusse, et pour arracher les restes de cette famille à l’influence de l’Angleterre, j’étais résolu de leur faire un traitement convenable… Je sais à quels bruits ridicules cette négociation a donné lieu : on a dit que j’avais exigé de ces princes une renonciation au trône, et que leur refus… avait tout fait échouer. Il n’y a rien de vrai dans ce conte absurde, et tout se réduit à ce que je viens de dire[1]. »


M. Miot affirme qu’il a écrit ce discours le jour même où il l’avait entendu. Il ajoute que, le lendemain, le premier consul, recevant aux Tuileries les autorités, les généraux et les personnages de distinction, parla beaucoup à tout le monde, répéta en partie ce qu’il avait dit au conseil d’état, et eut l’air de chercher des approbateurs. Quelques mois après, s’entretenant avec Joseph et quelques généraux de son intimité, il revint, en termes plus violons et plus positifs encore, sur la nécessité d’assurer son repos et celui de la France par la destruction de la maison de Bourbon.

Il fallut quelque temps pour dissiper le sentiment d’épouvante qui pesait sur les imaginations. Le meurtre du duc d’Enghien en faisait soupçonner d’autres ; un des complices de George, l’illustre et cou-

  1. Mémoires du comte Miot, tome II, pages 153 et suiv.