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tempestifs, maladroitement compromis la cause qu’ils voulaient servir, irrité le premier consul, et provoqué de sa part de nouveaux empiétemens. Leur véritable tort ou plutôt leur erreur, ce fut de ne pas voir que dans la constitution nouvelle, et surtout dans la disposition générale des esprits, il n’y avait pas de place pour une opposition régulière, par la raison qu’il n’y avait pas de place pour la liberté.

La génération actuelle, ou plutôt la portion de cette génération qui tient à un degré quelconque aux idées libérales, a quelque peine à concevoir la faveur qui s’attacha d’abord dans l’opinion au gouvernement du consulat, faveur si complète, si générale, qu’alors que Napoléon eut succombé quinze ans après sous le poids d’immenses désastres et d’une impopularité presque égale à ces désastres mêmes, le souvenir des premiers temps du régime consulaire se présentait encore aux imaginations comme celui d’une sorte d’âge d’or. Le sénat même, dans l’acte par lequel il vota la déchéance de l’empereur, eut soin de rappeler ces années d’un gouvernement ferme et prudent pour le mieux accabler par le contraste de celles qui les avaient suivies. Il n’était pas jusqu’aux royalistes les plus ardens qui ne s’unissent dans l’occasion à cet hommage rendu au 18 brumaire et à ses conséquences. Quant aux révolutionnaires dont les sentimens ou les intérêts avaient pu être froissés par cette grande journée, ils n’auraient pu en exprimer leur désapprobation et leurs regrets sans exciter une surprise, une indignation comparables à celles qu’aurait provoquées un ancien terroriste déplorant le 9 thermidor.

Cet enthousiasme pour un régime dans lequel dès le début on pouvait cependant apercevoir les germes non équivoques de l’absolutisme étonne aujourd’hui, je le répète, les jeunes amis de la liberté. Ils le comprendraient mieux s’ils se rendaient bien compte de ce qu’était le gouvernement qui avait précédé le consulat, ce directoire dont M. de Barante a écrit une histoire si judicieuse et si instructive. A mesure qu’on s’est éloigné de ces temps calamiteux, l’opinion est devenue singulièrement indulgente pour le directoire. On en est arrivé à croire que la France possédait alors une liberté incomplète peut-être à quelques égards, mais réelle, qu’il s’y mêlait sans doute d’assez nombreux abus, mais que ces abus n’étaient ni sans compensation ni sans remède, puisqu’il existait une presse et des corps électifs contrôlant librement le pouvoir. C’est une grande erreur : le règne du directoire tout entier fut une odieuse tyrannie, non pas tempérée, mais aggravée par des accès d’anarchie démagogique. Depuis le 18 fructidor, il ne soutenait plus son existence chancelante que par une suite de coups d’état et de lois d’exception frappant alternativement tous les partis. Ces proscriptions succes-