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le reste ne les regarde pas. Je compte bien qu’ils ne seront pas longtemps en fonctions, et qu’on ne m’en enverra pas d’autres. » Bonaparte, pressé de s’éloigner pour aller diriger les opérations militaires, congédia ensuite M. Miot en lui promettant de le revoir bientôt à Bologne. Dans cette courte entrevue, M. Miot avait remarqué l’ascendant que le jeune général avait déjà pris sur les officiers qui l’entouraient. Tous se tenaient devant leur chef dans une attitude de respect et d’admiration. On n’apercevait entre lui et ses compagnons d’armes aucune de ces marques de familiarité auxquelles on était alors habitué dans les autres armées, et que favorisait l’égalité républicaine. « Déjà il avait marqué sa place et établi les distances. »

Le gouvernement toscan, intimidé par nos victoires, avait beaucoup modifié son attitude. Un nouveau ministre, moins hostile à la France, avait pris la direction des affaires étrangères : les relations avec la légation française étaient devenues plus faciles; mais comme au fond les dispositions de ce gouvernement n’avaient pas changé, ne pouvaient pas changer, les occasions de conflit renaissaient à chaque instant. Les autorités de Livourne, dominées par l’influence anglaise, donnaient sans cesse aux Français de nouveaux sujets de plainte. Bonaparte résolut d’y mettre fin en dirigeant sur cette ville un corps de troupes chargé de l’occuper, d’en expulser les Anglais et d’y saisir toutes leurs propriétés. M. Miot, effrayé de l’orage qui allait fondre sur la Toscane, se hâta de courir à Bologne, où le général lui avait donné rendez-vous. Il essaya de lui persuader qu’au point de vue politique, la tentative qu’il voulait faire sur Livourne aurait pour lui plus d’inconvéniens que d’avantages, qu’elle donnerait lieu à des vexations, à des concussions sans profit réel pour l’armée et propres seulement à enrichir les agens du directoire, à exaspérer les populations italiennes, à frapper les Français d’impopularité; il développa même, non sans quelque naïveté, des considérations stratégiques qui lui paraissaient militer dans le même sens. Le général lui répondit très sérieusement que, s’il l’avait entendu plus tôt, il n’aurait peut-être pas ordonné le mouvement en question, mais qu’il n’était plus temps de reculer, ce mouvement étant déjà commencé, et qu’il tâcherait d’ailleurs d’éviter tout désordre. M. Miot, voyant l’inutilité de ses représentations, se borna à demander qu’au moins les troupes françaises n’entrassent pas à Florence; il en reçut la promesse. Livourne fut donc occupé militairement. Après en avoir pris possession, Bonaparte, accompagné seulement de Berthier, de quelques aides-de-camp et d’un piquet de dragons, se rendit à Florence, où le grand-duc, bien que mortellement blessé de ce qui venait de se passer, lui fit rendre de grands honneurs et lui donna à dîner. Il trouvait sans doute bien