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que que dénonciation, et que Bouchotte serait impuissant à le protéger. D’un autre côté, une démission pouvait l’exposer au soupçon d’hostilité contre le parti que la révolution du 31 mai venait d’investir du pouvoir. Dans cette perplexité, une occasion se présenta de quitter sans éclat le ministère de la guerre, et M. Miot la saisit avec empressement. Un des chefs adjoints de ce ministère, appelé à diriger le département des affaires étrangères avec le titre de commissaire, qu’on substitua alors à celui de ministre, lui proposa de le prendre pour son secrétaire-général. Bouchotte ayant consenti, non sans quelque répugnance, à se séparer de son chef de division, M. Miot se hâta d’aller s’installer dans ces fonctions nouvelles où il devait être moins en vue, l’état de guerre ou au moins de rupture qui existait entre la France et toutes les puissances de l’Europe ayant réduit presqu’à rien les relations diplomatiques, dont on avait cessé de se préoccuper.

Il y trouva d’autres avantages. Son nouveau chef, Deforgues, d’un caractère ferme et prononcé, et moins complètement engagé que Bouchotte avec le parti de la révolution violente, devait être pour lui dans l’occasion un appui un peu plus efficace. Le ministère des affaires étrangères d’ailleurs, qui, depuis la chute de la royauté, n’avait eu à sa tête que le girondin Lebrun, renversé naguère parle 31 mai, n’avait pas subi comme les autres, comme celui de la guerre surtout, l’invasion du jacobinisme. Si ses principaux employés n’étaient plus ceux qui y figuraient avant 1789, c’étaient encore pour la plupart des hommes qui y avaient pris place sous la monarchie constitutionnelle, et dont quelques-uns même avaient rempli sous l’ancien régime des fonctions de quelque importance : c’étaient M. Otto, M. Colchen, M. Reinhardt, M. Boissonade, qu’on a vus depuis se faire dans des carrières diverses un nom honoré et une position considérable. Ils conservaient, sur ce terrain privilégié, des traditions de politesse et de décence qui faisaient un étrange contraste avec ce qu’on voyait partout ailleurs. On comprend sans peine le bien-être que M. Miot dut ressentir lorsqu’il se trouva transporté dans cette nouvelle atmosphère. Deforgues lui-même, qui ne manquait ni d’esprit ni de lumières, semblait s’y complaire et vouloir conserver autour de lui quelques-unes des habitudes d’un autre temps. Si je ne me trompe, c’était un de ces hommes, si nombreux aux époques de révolutions, qui, ne pouvant arriver au pouvoir et à la fortune que par des bouleversemens, se font peu de scrupules sur les moyens d’y atteindre, mais qui, lorsque leur ambition est satisfaite, voudraient arrêter le désordre et mettre fin aux excès de l’anarchie, parce qu’au fond ils ne sont nullement fanatiques, parce que, s’ils manquent de principes, si leur conscience est singulièrement endormie, ils n’ont pourtant pas cette perversité na-