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cueillement ses devoirs de dévotion, et comme la nature de sa maladie ne lui permettait pas de recevoir l’hostie, il l’adora avec humilité, « montrant tant de contrition et de mépris pour les choses de ce monde, tant d’aspiration vers le ciel, qu’on eût dit que Dieu lui avait réservé le comble de toutes les grâces pour sa dernière heure[1]. » Il avait annoncé, par un de ces pressentimens que les malades ont quelquefois, qu’il vivrait jusqu’à la vigile de Saint-Jacques. On lui dit qu’elle arriverait dans quatre jours. « Encore quatre jours de misère! » s’écria-t-il. Il demanda à voir son père, mais le confesseur prit sur lui de dire au roi qu’il valait mieux pour le moribond ne pas le rappeler aux choses de ce monde. Pendant que don Carlos cédait à un de ces assoupissemens qui précèdent la mort, le roi entra doucement dans sa chambre, et, se cachant derrière le prince d’Eboli, il envoya de loin sa bénédiction à son fils, « après quoi, dit naïvement son biographe Cabrera, il se retira dans son appartement avec plus de chagrin au cœur et moins de souci en tête. »

Le 24 juillet 1568, un peu après minuit, on dit au prince que la vigile de Saint-Jacques commençait. Sa figure amaigrie s’illumina d’un rayon de joie; il demanda qu’on lui mît dans la main un cierge bénit, et, de l’autre se frappant la poitrine, il exhala son dernier soupir. « Nul catholique, écrit le nonce du pape, ne fit une fin plus catholique. »

Je crois avoir exposé fidèlement tous les témoignages sur lesquels on peut, dans l’absence de documens inconnus ou perdus aujourd’hui, tenter la solution de cette grande énigme historique. De toutes les hypothèses, la plus simple et à mon sentiment la mieux fondée est celle qui fait de don Carlos un maniaque mourant de mort naturelle, si l’on peut appeler ainsi une mort hâtée par la négligence la plus étrange. Il est vrai, et cette remarque appartient à M. Prescott, que les médecins du XVIe siècle n’avaient pas les lumières de ceux de notre époque, et que ce qui nous paraît monstrueux aujourd’hui pouvait être admis autrefois par les praticiens les plus célèbres. On traitait alors les fous par le nerf de bœuf, et il ne paraît pas qu’on ait employé cette méthode à l’égard de don Carlos.

Je résume en quelques mots son histoire. L’héritier du plus puissant monarque de l’Europe est un jeune homme maladif, toujours miné par la fièvre, usé prématurément par la débauche, trépané à la suite d’une blessure grave à la tête. Naturellement violent et

  1. Ce sont les propres expressions de Castaneo, le nonce du pape, dans une lettre au saint père.