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anglaise, M. Albany Fonblanque. Dès l’origine du Punch in London, origine malheureuse qui devait aboutir, mais plus tard, à une brillante transformation, il avait aussi pris position parmi les plus implacables railleurs du régime oligarchique. Trop frappé de quelques puérilités extérieures et aussi de quelques privilèges abusifs, peut-être ne comptait-il pas assez les garanties que l’existence d’une aristocratie libérale doit offrir, contre certains dangers, à l’indépendance du pays; peut-être n’appréciait-il pas assez le droit de libre moquerie dont il usait et abusait sans péril ni gêne, et que ne lui eût pas laissé une autre forme de gouvernement : maintenant, ceci soit dit à sa décharge, il n’était pas tenu de penser en 1832 ou en 1840 comme pensent en 1859 bon nombre de ceux qui l’ont naguère applaudi.

Dans la préface des Heads of People, Douglas Jerrold dessine nettement l’attitude qu’il entend conserver. Il tance hardiment John Bull, qui se croit le plus probe, le plus franc, le plus loyal, le plus sage des êtres humains, et il lui montre le revers de cette médaille brillante où si complaisamment il se mire. Ici la physionomie change. John Bull, l’honnête homme par excellence, ne déteste pas un bon petit vol, par-ci par-là..., mais à la condition que ce vol soit entouré de formes légales et sanctionné par un acte du parlement. Après cette petite cérémonie, qui est en quelque sorte le baptême rédempteur de l’enfant adoptif, John Bull se met à aimer son larcin, il l’admire, le choie, le presse sur son cœur, lui donne mille jolis petits noms, et si on veut le lui disputer, crie en toute bonne foi son haro sur le voleur !... John Bull fait aussi profession de ne point vénérer la richesse; mais en réalité sa large échine a la souplesse du roseau, un niais et respectueux sourire plisse ses grosses joues à l’aspect du veau d’or, et il se baisse, et il baise les pieds de l’animal immonde. Il est vrai qu’il se redresse tout aussitôt, essuie ses lèvres du revers de la manche, prend un air magnanime, et envoie au diable quiconque fait attention à l’argent. Et les titres? Ah! oui, venez lui parler des titres. Écoutez-le, à la taverne de King’s head, discourir sur la noblesse : a Qu’est-ce qu’un titre? Est-ce l’homme, dites? » Mais si, la semaine qui vient, lord Bubblebrain se met en tête de représenter le comté, s’il condescend à entrer chez John Bull pour solliciter son vote, John, fasciné, reste les pieds cloués sous l’auvent de sa porte; il lisse sa chevelure, ricane, se tortille, s’incline, et comprend quelle magie blanche il y a dans les regards d’un lord et dans ses paroles. Puis, encouragé par sa femme, John ira voter, avec cette simple remarque « qu’un gentleman, après tout, ne saurait faire moins... et qu’il faut bien montrer quelque savoir-vivre. »

Le même esprit se retrouve dans les dernières pièces de Douglas