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présenter trois ou quatre pièces, dont une tragédie en un acte (le Peintre de Gand), dans laquelle il entreprend de jouer lui-même le principal rôle : tentative singulière dont il se dégoûta heureusement après quinze jours d’inutile exhibition, et qui s’explique, qui s’excuse peut-être par les impatiences que lui causaient ses luttes avec l’inintelligente obstination des comédiens chargés d’interpréter sa pensée. Il s’en repentit du reste longtemps, et ne parlait qu’avec une certaine répugnance de ce qu’il appelait « sa folie de 1836. »

De cette époque désastreuse à 1841, il y a dans la carrière dramatique de Douglas Jerrold une lacune que son biographe n’a pas pris soin de nous expliquer. Ces cinq années ne furent point oisives. Les revues, les magazines, la Belle Assemblée, le Blackwood, le New Monthly, la Freemason’s Quarterly, voire le Forget-me-not et les autres Annuals recevaient à chaque instant les communications de l’infatigable écrivain. Beaucoup furent datées de Paris, où d’assez sérieux embarras pécuniaires avaient exilé Douglas Jerrold : pauvreté honorable d’ailleurs, car elle provenait de l’extrême facilité avec laquelle il se laissait engager, par les instances de ses amis, à se mettre de moitié dans leur gêne, et à contracter pour eux des engagemens au-dessus de ses forces. En France, il connut littéralement, pour lui et les siens, les angoisses de la misère, et ce fut dans une chambre sans feu, pendant l’hiver de 1835-1836, qu’il écrivit, outre deux comédies, bon nombre de nouvelles publiées à Edimbourg dans le Blackwood. Une grande partie de ces ingénieux récits se trouve dans le recueil intitulé : Men of character.

A Paris, en même temps que lui, travaillaient loin de leur pays des écrivains, des artistes promis à une juste célébrité, Makepeace Thackeray, Henry Mayhew, le musicien Barnett. Ils se voyaient, s’entr’aidaient, et Thackeray, préludant à ses brillans travaux d’écrivain par de spirituelles caricatures, préparait sans doute déjà les illustrations dont s’est enrichie la première édition du recueil dont nous venons de parler[1]. Encouragé par le succès de Men of Character, Douglas Jerrold eut l’idée de se faire éditeur, et son début fut un coup de maître. Il publia (1840) une série d’esquisses contemporaines (Heads of People), où l’esprit d’opposition radicale revêt tous les caractères d’une tendance sérieuse, d’une préoccupation sincère. Il avait abordé de bonne heure, quoiqu’en sous-ordre, la presse politique. Il avait travaillé régulièrement au Ballot, depuis fondu dans l’Examiner, où il était entré comme sub-editor à côté du rédacteur en chef, une des grandes réputations de la presse

  1. Les Men of Character, trois volumes, publiés pour la première fois en 1838, ont obtenu le succès singulier d’une traduction russe, et cela pendant les premiers mois de la campagne de Crimée.