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Si j’ai appliqué ce genre d’analyse à notre pays, c’est uniquement parce qu’il m’a fourni les indications statistiques nécessaires. Si tristes que soient les résultats, je suis porté à croire que l’état de la France est encore préférable à celui des autres nations européennes, à l’exception de l’Angleterre, dont le régime intérieur a été évidemment amélioré depuis l’adoption du libre échange par l’accroissement de la production industrielle et par l’abaissement du prix des objets les plus nécessaires à la vie. Le bilan des ressources de la France étant présenté ici seulement comme un spécimen du plan économique de l’Europe, supposons qu’un homme de gouvernement se sente étonné, inquiété à la révélation d’un tel état de choses, et qu’il soit amené à reconnaître qu’un abaissement extrême du minimum de subsistance deviendra préjudiciable à la puissance du pays, en démoralisant, en affaiblissant le prolétariat, le grand réservoir de la vitalité nationale. Le voici qui prend à tâche d’améliorer la situation. Il faut qu’il étudie le mal dans ses causes et le remède possible dans ses rapports avec les besoins en souffrance, avec les nécessités de la politique générale. C’est alors qu’il sentira la valeur et la portée de ces principes généraux, de ces formules trop souvent dédaignées qui constituent la science pure. Les notions abstraites sur les forces productives, le travail d’épargne, l’art industriel, les modes divers de distribution, vont agir instinctivement dans son esprit, et viendront à son aide, de même que chez l’ingénieur les élémens des sciences qui ont les nombres et les corps pour objets deviennent, sans qu’il y songe, les instrumens des plus grandes œuvres.

Il y a plus d’une manière de résoudre le problème indiqué ici; mais pour tout réformateur doué du sens politique, la question finira par se poser de la manière suivante : diminuer la somme des inégalités sans amoindrir le bien-être acquis par les classes supérieures. Dans cette voie, on aboutira à une grande et belle démonstration qui est pour ainsi dire le couronnement de la science économique : à savoir qu’il n’est pas nécessaire d’acheter le progrès pour les pauvres aux dépens des riches, que ceux-ci au contraire y trouveront peut-être, indépendamment de l’inappréciable avantage de la sécurité, un profit matériel pour eux-mêmes, un accroissement de leurs moyens de jouissance.

Un des malheurs de notre temps est en effet cette croyance erronée que la somme totale des biens dont se compose le revenu collectif d’une nation est une quantité fixe, invariable, et que le