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ple. Celui-ci, dans un éclair d’intelligence, comprendra qu’il est possible d’employer la force élastique de l’eau vaporisée ou d’un gaz quelconque à soulever un piston dans un tube. Que cette idée soit matérialisée par un premier essai, les hommes capables de la féconder, les Watt, les Fulton, les Dallery, ne lui manqueront pas, et un moteur, multipliant à l’infini les forces humaines, renouvellera la face du monde.

Il est bien entendu que je ne prétends pas faire une part à Mariotte dans l’invention de la machine à vapeur; cela n’est point de ma compétence. J’ai risqué un exemple fictif qui m’a paru propre à caractériser l’importance de ces formules générales dont les gens inattentifs font si peu de cas, dont les auteurs eux-mêmes soupçonnent rarement toute la portée. Les mécaniciens n’auraient sans doute pas inventé la locomotive, si des savans n’avaient pas mesuré préalablement l’élasticité des gaz et des vapeurs. Les hommes d’état seraient impuissans à perfectionner la mécanique sociale, si des penseurs n’avaient pas divulgué les lois naturelles qui régissent le travail humain. Je vais montrer au surplus la place que l’économie politique occupe dans le monde, et l’emploi qu’on en peut faire.


II.

Le travail incessant de l’homme n’étant pas moins nécessaire à la perpétuité du monde que l’équilibre des corps célestes, n’est-il pas raisonnable d’admettre qu’il y a aussi certaines conditions d’équilibre pour l’activité humaine? Il faut s’attendre à cette objection : si tout est prédisposé pour que l’harmonie existe dans l’ordre industriel, et que le bien-être se propage indéfiniment, pourquoi cet heureux phénomène ne s’est-il jamais réalisé? D’où vient que l’immense majorité des hommes qui ont vécu, qui vivent encore sur la terre, y traînent une existence honteuse et misérable? La réponse est facile.

L’homme n’obéit pas au même genre d’attraction que les corps inertes. Aux yeux de l’économiste, il apparaît tel que nous le présentent la religion et la philosophie : une force intelligente et libre, moralement responsable de ses actes. Quoique subordonné à une loi générale, atome dans un grand ensemble, il conserve néanmoins la faculté d’osciller entre deux limites extrêmes, le mal et le bien, l’égoïsme ou l’abnégation. Nous venons de voir, à propos de l’expansion des richesses, qu’elle ne pouvait être opérée que de deux manières : ou arbitrairement, en vertu de règlemens factices, ou naturellement, avec une entière liberté de transaction, ce qui serait l’idéal du progrès. Eh bien! par une fatalité aisément explicable,