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la pondération naturelle des services et des récompenses. Par exemple, lorsqu’on prélève au moyen de l’impôt une partie des richesses créées pour rémunérer les fonctionnaires publics, lorsque l’on constitue un monopole au profit d’une classe et au détriment des autres, lorsque des mesures administratives faussent le cours normal des marchandises et des salaires, dans ces cas divers comme dans mille autres l’influence du pouvoir souverain se fait sentir et modifie par voie d’autorité le partage des richesses acquises.

Le second mode de distribution, celui qui procède de la liberté, implique un état de choses dans lequel, en l’absence de règlemens arbitraires, l’individu dispose souverainement de son travail et de la portion de capitaux qu’il a réalisée. Dans l’idéal de ce système, les prix des objets matériels comme la solde des différens labeurs s’établiraient en vertu d’une loi unique et toujours respectée, celle de l’offre et de la demande; les produits ne parviendraient aux consommateurs qu’au moyen d’échanges librement consentis, et de cette manière chacun serait rémunéré exactement dans la proportion des besoins que la société aurait des produits dont il dispose et des services qu’il peut rendre.

Ce rôle simultané de l’autorité et de la liberté dans l’expansion des fruits du travail ne peut pas être mis en doute : il faut classer le fait au rang de ces axiomes scientifiques si simples et si évidens qu’en les entendant énoncer chacun se figure les avoir connus de tout temps, et qu’on est étonné de voir un écrivain prendre la peine de les démontrer. Il n’y a que les profonds penseurs qui savent combien il faut de puissance philosophique pour formuler et vulgariser ces vérités primordiales qui existent à l’état latent dans tous les esprits. On a écrit des montagnes de livres sur l’économie politique, et cependant je ne connais pas un seul traité antérieur à celui de M. Courcelle-Seneuil où cette distinction entre les deux modes élémentaires de distribution soit établie d’une manière saisissante. En analysant le phénomène dont il s’agit, les théoriciens ont opéré dans le vide, pour ainsi dire. Sans prévenir leurs lecteurs, ils ont raisonné dans l’hypothèse d’une société idéale où les transactions se régleraient sous l’empire de la concurrence, par contrats librement débattus et consentis. Écoutez-les lorsqu’ils exposent comment les produits du travail collectif arrivent par parties inégales à la disposition des consommateurs, comment se pondèrent, en vertu de l’offre et de la demande, l’intérêt du capital, les profits de l’intelligence, les salaires du travail manuel, de sorte qu’à les entendre il semblerait que la distribution rémunératrice a lieu infailliblement de la manière la plus équitable, la plus conforme aux intérêts généraux. Le malheur de ces démonstrations, je le répète, est qu’elles s’ap-