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et de preuves, cette splendeur du vrai nécessaire pour subjuguer les esprits indifférens ou prévenus? Non malheureusement. Rossi écrivait, il y a vingt ans, en tête de son cours : « Dût-il rougir pour la science, l’économiste doit avouer que la première question à examiner est encore celle-ci : qu’est-ce que l’économie politique? quels en sont l’objet, l’étendue, les limites? » Depuis Rossi, on a cependant fait quelques pas : entre une vingtaine de définitions proposées, on est à peu près tombé d’accord sur les formules qui marquent le mieux le caractère et la portée de la science[1]; mais ce qu’il fallait pour maîtriser l’opinion, c’était une synthèse résumant les travaux accomplis en les rattachant aux données principales de la philosophie et de l’histoire, exacte et forte pour les gens instruits, assez lumineuse pour les intelligences réduites aux simples lumières du bon sens.

Je ne sais pas si M. Courcelle-Seneuil, en commençant son livre, était placé au point de vue que je signale. Son exposé, d’une gravité et d’une réserve qui ne se démentent jamais, sans un seul mot ressemblant à une critique pour ses devanciers, n’annonce guère un auteur tourmenté du besoin de redresser les torts. C’est peut-être à cette disposition de son esprit que nous serons redevables du mérite et de l’opportunité de son livre. Sans s’inquiéter des controverses d’école ni des préjugés du public, ne songeant qu’à coordonner les élémens qui l’encombraient, il a appliqué la méthode sévère recommandée par les plus grands philosophes pour la recherche des vérités naturelles ou abstraites. Ce qu’il a essayé, c’est précisément ce qu’il faut accomplir, quand une science, envahie par la confusion, a besoin de dégager ses principes; c’est, à mon avis, ce qu’il y avait de plus pressé à faire pour l’économie politique.

Supposons une assemblée où beaucoup d’idées seraient agitées tumultueusement. Le moyen de parvenir à s’entendre serait de discerner d’abord un fait si simple, si éblouissant d’évidence, qu’il fût nécessairement adopté comme vrai par tout le monde; puis on attacherait à ce point solide un second, un troisième fait de même nature, et toujours ainsi jusqu’à ce qu’on épuisât l’enchaînement des points incontestables. Enfin, de toutes ces vérités confirmées par l’assentiment général, on tâcherait de faire sortir la conclusion utile, la synthèse. La méthode qui féconde les sciences et assure leur autorité suit un procédé semblable. M. Courcelle-Seneuil a donc commencé par poser comme fait indiscutable ce qui suit :

  1. On consultera avec fruit à ce sujet le travail d’un économiste zélé et judicieux, M. Joseph Garnier. Il est intitulé : But et Limites de l’Économie politique, et se trouve dans un recueil d’opuscules du même auteur, publié récemment sous ce titre : Elément de Finances, de Statistique, etc.