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force et qui regardent la modération comme un signe de faiblesse, s’habituent à ne plus croire à notre puissance : ils ne nous aiment pas, puisque la presse nous représente sous les plus noires couleurs; ils ne nous craignent pas, puisque nous ne réprimons pas de pareilles attaques. C’est ainsi que le prestige de notre force et de notre grandeur s’évanouit peu à peu. »

Cette dernière réflexion du Quarterly Review sur l’influence de la presse en Orient est pleine de sagacité et de justesse. L’Orient autrefois ne lisait pas, n’écrivait pas, n’imprimait pas. L’Orient aujourd’hui lit, écrit, imprime. Il y a à Athènes une université où viennent des jeunes gens de toutes les parties de la Turquie d’Europe et de l’Asie-Mineure. Ils y viennent parce qu’ils sont Grecs de race, de religion et de langue. Ils retournent dans leurs pays plus Grecs que jamais, Grecs de cœur, d’esprit et d’avenir. Les journaux d’Athènes, de Syra, de Patras, de Corfou, de Zante, de Céphalonie, circulent dans tout l’Orient; ils y sont lus avec avidité; ils y font ou plutôt ils y fortifient l’opinion de toutes les populations chrétiennes de l’Orient, c’est-à-dire l’espoir de la délivrance et de l’indépendance des chrétiens. Partout où il y a des Grecs pour parler et pour écrire, cette idée s’éveille dans toutes les âmes. Ce qu’on sentait d’instinct autrefois et ce qu’on cachait par peur, on le dit aujourd’hui, on l’espère, on l’attend. On sait jusque dans les plus obscurs endroits de la Roumélie et de l’Asie-Mineure, on sait quelles sont en Europe les puissances qui sont amies des chrétiens d’Orient, quelles sont celles qui leur sont ennemies. On sait même, et nous en avons de touchans témoignages, le nom des plus humbles écrivains qui se sont voués à la défense longtemps inutile des chrétiens d’Orient, et qui ne se sont pas lassés, croyant que la cause était bonne et que Dieu était juste. Avec cette continuelle circulation des journaux grecs d’Athènes et de Corfou, si les Anglais continuent en Orient à vouloir l’impossible résurrection de l’empire ottoman et le maintien plus impossible encore de la servitude civile, religieuse et politique des chrétiens, quelle idée voulez-vous que l’Orient ait de l’Angleterre et des Anglais! N’est-il donc pas temps d’abandonner une politique qui n’a ni utilité, ni grandeur, ni charité? Et comment l’Angleterre peut-elle mieux prouver qu’elle abandonne cette politique mesquine et dangereuse qu’en proclamant en Orient le respect du principe de la nationalité, et en laissant les Iles-Ioniennes du midi s’annexer, si elles le veulent, au royaume de la Grèce?

Nous avons tenu à montrer la singulière conformité de l’article du Quarterly Review de 1852 avec les dépêches de sir John Young de 1858, afin de prouver une fois de plus, s’il en était besoin, que les idées justes ont toujours une chance d’arriver tôt ou tard à être des