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grecque augmenta et aigrit le dissentiment national qui séparait les Iles-Ioniennes de l’Angleterre[1].

J’ai indiqué combien en 1823 les sentimens du Quarterly Review étaient contraires à la nationalité grecque. En 1852, ces sentimens se sont fort amendés, et je suis très frappé de ce changement. L’écrivain anglais reconnaît que l’existence d’une Grèce indépendante doit avoir excité dans toutes les populations de race grecque en Orient le désir de former un grand état grec indépendant, et que ce désir est vivement ressenti dans les Iles-Ioniennes ; mais ici l’écrivain fait une distinction entre la masse de la population ionienne et le parti démagogique, qui depuis trois ans (1852) se sert de ce sentiment populaire pour détruire le protectorat anglais dans les Iles-Ioniennes. « Nous devons soigneusement distinguer, dit-il, l’espérance naturelle et louable qu’ont les Grecs de l’Orient et des Iles-Ioniennes de former un jour un grand état grec de l’impatience maladive de ceux qui veulent immédiatement annexer les Iles-Ioniennes au royaume hellénique. Ce dernier sentiment est le cri d’une faction; le premier au contraire est l’instinct inévitable de la nationalité. » Paroles curieuses et qui montrent le chemin qu’ont fait ces idées de nationalité qu’on rebutait en 1823, et qui dès 1852, en Angleterre même, semblaient devoir devenir les principes du droit nouveau de l’Orient.

Ce n’est pas seulement depuis 1852 que je trouve en Angleterre le sentiment que tôt ou tard les Iles-Ioniennes, étant grecques de race et de langue, se réuniront un jour aux autres Grecs, et même au royaume hellénique. Ce touriste anglais qui en 1836 trouvait que les sénateurs ioniens dînant chez le lord haut-commissaire étaient gênés et maladroits, comme des gens qui ne sont pas à leur place, sir Edward Giffard, raconte qu’assistant à la séance de clôture des chambres ioniennes, il entendit le lord haut-commissaire faire le résumé des lois votées pendant la session et se féliciter surtout de

  1. J’ai suivi, dans ce que je viens de dire de l’influence de la révolution hellénique sur les Iles-Ioniennes, le récit du Quarterly Review de 1823. L’écrivain anglais a l’air de croire que la neutralité n’a été appliquée qu’aux Turcs, et il s’en plaint ; mais il ne dit pas que la neutralité a été bien plus durement appliquée aux Ioniens. Voyez, dans l’excellente Histoire de la Révolution grecque par M. Tricoupi, les proclamations sévères des gouverneurs anglais contre les Ioniens de Zante et de Céphalonie qui prenaient les armes pour aller secourir leurs concitoyens de la Morée. Il ne les menace pas seulement de dénationalisation, c’est-à-dire de leur refuser, s’ils tombent entre les mains des Turcs, la protection du gouvernement anglais : cela n’était que juste; c’était la condition générale de tous les philhellènes européens. Les proclamations anglaises menacent les Ioniens qui vont porter les armes en Morée de peines sévères, s’ils reviennent dans les îles, et de confiscation de leurs biens, s’ils ne reviennent pas. (Histoire de la Révolution grecque, t. Ier, chap. 18.)