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tion et non d’une souveraineté pleine et entière, comme le demandait le projet anglais; mais cette protection n’est pas bornée aux relations extérieures, comme le voulait le projet russe, et le nouvel état n’est pas placé non plus « sous la garantie des puissances européennes. » Il y a donc eu entre les deux systèmes, celui qui voulait une indépendance quasi-absolue et celui qui voulait une subordination pleine et entière, une transaction dont le trait fondamental est que les Iles-Ioniennes forment en Europe un nouvel état, non pas un état vassal de l’Angleterre et lui payant tribut, comme à la Porte-Ottomane en 1800, mais un état placé sous sa protection exclusive, et qu’elle doit défendre de toute attaque extérieure. Comme le nouvel état n’est plus garanti par les puissances européennes, l’Angleterre n’est responsable qu’envers elle-même de l’exercice de son protectorat. Elle ne doit pourtant le confondre ni avec la souveraineté ni même avec la suzeraineté. Les Ioniens ne sont ni les sujets ni les vassaux de l’Angleterre; ils sont seulement ses protégés.

Le traité du 5 novembre 1815 donne à l’Angleterre le droit de tenir garnison à Corfou et dans les autres îles : la force militaire des Iles-Ioniennes est placée sous les ordres d’un commandant anglais; mais ce sont les Iles-Ioniennes qui paient l’entretien des forteresses et de la force militaire. On peut dire, je le sais, qu’en mettant à la charge des Iles-Ioniennes l’entretien des garnisons anglaises, des forteresses occupées par les soldats anglais et de la force militaire ionienne commandée par un officier anglais, l’Angleterre, qui sait compter, a voulu seulement faire une économie; mais on peut dire aussi d’un autre côté que, si les Iles-Ioniennes paient l’entretien de leurs forteresses et de leur armée, c’est parce que ces forteresses et ces armées leur appartiennent. Le paiement est une charge, mais c’est aussi un titre. Il y a partout aux Iles-Ioniennes le noyau et l’intention d’un état libre et indépendant. Les rapports mêmes qui doivent avoir lieu entre la force armée britannique et le gouvernement ionien sont, aux termes de l’article 6 du traité du 5 novembre 1815, réglés par une convention particulière : preuve évidente que les Iles-Ioniennes ne sont pas incorporées à l’Angleterre, qu’elles forment un état à part que l’Angleterre protège, mais qu’elle ne gouverne pas comme elle gouverne Malte et Gibraltar.

Non-seulement on peut prétendre que les Iles-Ioniennes possèdent les forteresses qu’elles entretiennent, et qui ne sont qu’occupées par l’Angleterre, c’est le mot de l’article 5 du traité : les Iles-Ioniennes ont de plus un pavillon marchand, reconnu par les puissances européennes comme pavillon d’un état libre et indépendant. Enfin leurs ports sont mis, il est vrai, sous la juridiction britannique (art. 7), mais seulement quant aux droits honorifiques et militaires,