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revendiquer, puisque dans cette restauration presque universelle de l’ancienne Europe, dont la défaite de Napoléon donnait le signal, Venise fut oubliée, comme Gênes, comme Malte. Si nous en croyons les détails que donne M. Bulgari dans son écrit intitulé les Iles-Ioniennes et les traités qui les concernent, l’Angleterre à cette époque était fort tentée de garder les Iles-Ioniennes comme une conquête britannique. Le sénat ionien ayant adressé au congrès européen une note pour réclamer l’indépendance des Sept-Iles, le général anglais Campbell déclara à cette assemblée qu’il ne reconnaissait ni l’état ni le sénat ionien, et que les Iles-Ioniennes étaient une conquête de l’Angleterre. On était loin alors des expressions de l’amiral Collingwood en 1809 et des instructions qu’il donnait à ses officiers : « En vous emparant de quelque port de mer des Sept-Iles, vous aurez soin de faire arborer le drapeau septinsulaire et non le drapeau anglais. Cette manifestation et tous vos procédés en général devront faire comprendre aux populations que vous ne visez pas à une conquête, mais à l’expulsion des Français, pour arracher les habitans à la servitude. »

Nous n’attachons pas grande importance aux querelles qui s’élevèrent alors entre le général anglais Campbell et le sénat ionien. Ces querelles cependant témoignent du dissentiment instinctif qui existait dès ce moment entre les Ioniens et l’Angleterre. Sans viser à l’indépendance complète qu’ils sentaient leur être impossible, les Ioniens voulaient au moins choisir leurs protecteurs, et ils ne semblaient pas disposés à choisir l’Angleterre. Ils auraient pris plus volontiers la Russie. De là pour l’Angleterre, quand plus tard elle fut reconnue comme protectrice des Iles-Ioniennes, une secrète défiance des sentimens de ses protégés et une disposition manifeste à changer son protectorat en domination presque absolue. Ce dissentiment originel a eu une grande et fâcheuse influence sur l’histoire des Iles-Ioniennes depuis 1814 jusqu’à nos jours.

En 1814 et en 1815, au congrès de Vienne, la Russie ne demandait pas le protectorat des Iles-Ioniennes; mais elle voulait que ces îles eussent une quasi-indépendance. L’Autriche s’y opposait, et comme elle avait hérité de Venise, elle prétendait que les Iles-Ioniennes et les villes de l’Albanie, Butrinto, Parga, Prevesa et Vonitza, ayant fait partie des états de Venise, devaient naturellement lui appartenir. De cette façon, l’Autriche aurait tourné et enveloppé du même coup l’Italie et la Grèce. L’Angleterre en 1814 consentait à cette prétention; en 1815, après Waterloo, l’Angleterre, mieux avisée pour elle-même et peut-être aussi pour l’Europe, de plus élevant ses prétentions avec ses victoires, pensa qu’elle pouvait prendre pour elle les Iles-Ioniennes et anéantir le protectorat russe et autrichien au profit du sien. Elle demanda la souveraineté