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Orient plusieurs états naissans, quel danger ou quelle rivalité ces états pourraient-ils créer à l’Angleterre? Ce qui, politiquement parlant, peut le mieux ressembler à l’impuissance de l’Orient turc en train de mourir, ce sera la faiblesse de l’Orient chrétien en train de naître. Pourquoi donc jalouser cette naissance? De plus, l’Angleterre croit-elle qu’il soit bien sage de laisser les autres puissances européennes avoir en Orient le mérite des bons sentimens? Pourquoi laisser les populations orientales se tourner toujours vers la Russie ou vers la France comme vers leurs seuls protecteurs? Pourquoi ne pas les habituer à se tourner aussi vers l’Angleterre? Pourquoi ne pas se préparer la faveur de l’avenir?

Peut-être vais-je beaucoup plus loin dans mes conjectures que sir John Young dans ses réflexions; cependant, quand je vois le gouverneur des Iles-Ioniennes proposer de garder Corfou pour surveiller l’Autriche dans la mer Adriatique et de céder les autres îles au royaume de Grèce, comment ne pas trouver là l’indice et le principe d’une politique moins autrichienne et plus libérale, ou plus favorable aux chrétiens d’Orient? Or c’est là, selon moi, ce qui est une grande et heureuse innovation de l’Angleterre en Orient. Elle sort par cette initiative de la vieille impasse de cette politique qui, après Navarin, se croyait obligée de renier et de maudire sa gloire.

Je me suis à dessein étendu sur le premier principe que je trouve contenu dans les dépêches de sir John Young : il est temps que l’Angleterre change de politique en Orient. Le second principe de ces dépêches, c’est-à-dire le respect des nationalités en Orient et la proposition d’unir les Iles-Ioniennes au royaume de Grèce, n’est pas un principe qui ait moins de portée. De plus, il indique dans quel sens la politique de l’Angleterre doit changer. Je dirais même volontiers que ce principe des nationalités est en Orient un principe essentiellement révolutionnaire, si ce mot de révolutionnaire ne devait pas effrayer mal à propos beaucoup de nos amis, qui ne se souviennent pas assez qu’il y a des révolutions qui sont bonnes.

Le principe de la nationalité, qui fait que sir John Young propose l’union des Iles-Ioniennes avec la Grèce, n’est pas, chez lui, je le répète, une inspiration du philhellénisme. L’Angleterre n’est pas en général suspecte de philhellénisme, quoiqu’elle ait dans ces derniers temps puissamment contribué à la consolidation du royaume hellénique, car c’est sans le vouloir. Les épreuves que le peuple grec et le roi Othon ont subies ensemble, avec le même sentiment, soit pendant la triste et grotesque affaire de don Pacifico, soit pendant l’occupation du Pirée, ces épreuves que la Grèce a, non sans quelque raison, attribuées à la malveillance de lord Palmerston, ont rapproché tous les Grecs, et il y a désormais non plus seulement un