Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/520

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Angleterre? Elle lui est un souci perpétuel ou une cause de dépenses excessives. Que peut désirer l’Angleterre, si la Turquie venait tout à fait à succomber? La Valachie ou la Moldavie? la Bosnie et l’Albanie? Non. Elle peut tout au plus désirer une guérite maritime de plus, un Gibraltar dans l’Archipel ou dans le Bosphore. Le jour de la chute de l’empire ottoman, elle n’a besoin de la permission de personne pour prendre cela; mais elle peut penser que si ce jour-là elle a devant elle des puissances qui, dans le démembrement de l’empire ottoman, se soient créé une position et une force maritimes, si l’Autriche, par exemple, avait toutes les côtes orientales de l’Adriatique et les rives septentrionales de l’Archipel, depuis la Thessalie jusqu’à l’entrée de l’Hellespont, elle peut penser que ce jour-là elle aurait laissé se faire en Orient une puissance bien supérieure à la Turquie. Le statu quo actuel, je le reconnais, est commode pour les Anglais; mais peut-il se prolonger? L’impuissance de la Turquie est peut-être pour l’Angleterre la meilleure carte de son jeu; mais cette impuissance peut-elle durer? et surtout sa durée, si elle est possible, ménage-t-elle à l’Angleterre de bonnes ou de médiocres chances? Elle en ménage d’excellentes à l’Autriche et peut-être aussi à la Russie. Pour le reste de l’Europe, elle ne crée que des embarras dans le présent et des dangers dans l’avenir.

Non-seulement l’amitié de l’Autriche et le parti-pris de soutenir l’empire ottoman contre la force des choses peuvent en Orient être pour l’Angleterre une grande duperie avenir; cette conduite a d’autres inconvéniens qui doivent se voir très bien de Corfou. L’Angleterre n’est pas populaire en Orient, et cette impopularité tient en grande partie à son amitié pour la Turquie et pour l’Autriche. S’il éclate de grands événemens, cette impopularité sera un embarras et peut-être même une cause de faiblesse pour l’Angleterre. Assurément le gouvernement anglais a une juste et légitime confiance dans sa force; cependant il aime mieux en général avoir pour soi l’opinion des populations, surtout quand il peut croire que cette opinion trouvera quelque écho dans la presse et dans le parlement anglais. Or il y a, grâce à Dieu, en Angleterre beaucoup de pensées et de voix généreuses qui demandent jusques à quand l’Angleterre fera fi des vœux et des prières des populations orientales pour plaire à un empire décrépit et à un voisin ambitieux. Quelle est cette politique sans issue condamnée à la stérilité si la Turquie dure, ou à la duperie si la Turquie meurt, ayant l’Autriche pour principale héritière? Qu’est-ce que l’Angleterre peut avoir à craindre de la vitalité des populations chrétiennes de l’Orient? Qu’est-ce qu’elle aurait à redouter de l’entrée de ces populations dans le cercle des états européens? Et quand au lieu d’un état mourant il y aurait en