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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 mars 1859.


Au point de développement et de maturité où est arrivée la crise à laquelle l’Europe est en proie depuis le commencement de l’année, il ne nous est pas possible de cacher notre émotion. Avons-nous besoin de le déclarer ? cette émotion n’est pas la crainte d’une guerre dans laquelle notre patrie serait obligée de s’engager, si la nécessité et la justice lui en étaient démontrées. Non ; nous ne sommes pas de ceux qui déclinent systématiquement, pour les grandes nations, les pesans, mais glorieux devoirs de la guerre. Que le dilemme de la paix ou de la guerre s’agite devant l’Europe, si nous avons le droit de le regretter, nous n’en sommes point effrayés ; mais ce qui nous préoccupe, c’est l’état de l’opinion en France tandis que se débat dans le monde en son nom et pour elle une question aussi vaste, aussi complexe, qui l’intéresse à un si haut degré dans le présent et dans l’avenir, dont la solution peut confirmer ou dénaturer la marche que la civilisation suit en Europe depuis quarante ans. Ce qui nous inquiète, c’est qu’elle soit si peu informée des raisons qui lui imposent aujourd’hui plutôt qu’hier, plutôt que demain, la solution de cet immense et redoutable problème. Ce qui nous afflige enfin, c’est qu’elle soit exposée à prendre un parti précipité et irrévocable sans qu’une enquête et une discussion, publique, calme, attentive, réfléchie, aient pesé devant elle tous les motifs et toutes les conséquences de l’une et de l’autre conduite ; c’est en un mot que l’opinion ne soit pas assez éclairée pour se prononcer sur une question qui sera peut-être pendant de longues années la plus grande affaire de la France avec cette autorité souveraine que personne cependant ne lui conteste. Hélas ! nous avons eu mainte fois, depuis deux mois, le courage de parler avec un triste sourire de l’ignorance, des incertitudes et des inconséquences de l’opinion ; nous en exprimons hautement notre repentir : ce n’était point l’ironie, c’était une patriotique sollicitude que devait inspirer un tel spectacle