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inconnue, une excitation immense, une révolution possible. En 1859 et en 1860, si elle ne se termine pas cette année, elle est une affaire, une rectification laborieuse, une matière de débats, un bill d’applications pratiques et de détails infinis, qu’on peut amender et sous-amender, sans catastrophe imminente pour l’état. Veuillez bien le remarquer en effet, rien de radical dans ce projet, ni dans l’addition même que propose lord Russell. Partout les cadres de l’ancienne loi, les divisions de bourgs et de comtés judicieusement maintenues appellent au droit électoral, non pas l’individu, à quelque titre que ce soit, mais le propriétaire, le co-associé à la propriété, le fermier, l’homme ayant une garantie de domicile et d’industrie, l’artisan même cautionné par son dépôt dans une caisse publique d’épargnes.

Nous ne rappelons pas ici des dispositions d’un tout autre ordre maintenues à l’égard de corporations savantes, et qui assurent la diversité en même temps qu’elles élèvent la source de l’élection; mais sur ce terrain des ramifications si nombreuses embrassées par le bill, bien que la qualité d’électeur soit rendue très accessible, nous remarquons qu’elle reste ce qu’elle doit être, intelligente et présumée responsable. Voilà le grand point. L’esprit des peuples libres de l’antiquité, moins abstrait et plus pratique parfois que le nôtre, attachait le droit électif non pas à la condition d’homme, mais à la présomption de volonté indépendante. Aristote établissait dans sa Politique que les hommes, même libres, qui dépendent de leur salaire du jour, les manœuvres, les artisans, ne doivent pas concourir à l’élection, ail ne leur croyait pas, disait-il, des sentimens assez élevés, assez libéraux pour cela. » Cette théorie du philosophe peut étonner dans un pays où le gouvernement, provisoire il est vrai, croyait se recommander par l’adjonction sur sa liste du nom d’un simple ouvrier; mais le nouveau bill anglais, présenté par M. Disraeli, nous paraît fondé sur cette idée, que la condition d’homme ou même d’ouvrier ne suffit pas pour constituer le droit électoral, et qu’il est bon d’y joindre une garantie de propriété, d’établissement régulier, de science acquise et exercée, d’économie faite et assurée, quelque chose enfin qui caractérise l’homme intéressé à l’ordre social, et pouvant lui apporter une part de volonté intelligente et libre.

Lord Brougham, un des apôtres les plus véhémens de la grande réforme de 1832, disait en août 1857, au sujet de la nouvelle réforme déjà débattue : « Outre mes deux nobles amis, lord Ripon et lord Glenelg, absens aujourd’hui, je reste seul dans cette chambre de tous les auteurs du bill de 1832, sauf encore mon noble ami, en face de moi, qui est membre du gouvernement. » Remarquable exemple du renouvellement des institutions par la seule marche de la vie, sans les accidens qui le hâtent et qui les brisent! De toute