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eux-mêmes dans des imprimés et dans des comptes-rendus populaires, elle ne cessait d’entretenir ce sentiment de la vie politique, qui est la liberté même. Seulement, par la force des choses, le débat, étant réel et animé dans les chambres britanniques, ne pouvait manquer de retentir chaque jour davantage au dehors, et il devait parvenir graduellement à cette régulière, rapide et immense publicité, commencée depuis un siècle, et qui s’accroît sans terme, non pas seulement pour l’Angleterre, mais pour le monde entier, supplée au silence des autres pays, et nous donne parfois de curieux détails sur nos propres affaires.

Placée devant un tel contrôle, organe et centre d’une telle publicité, la puissance législative, comme parle Montesquieu, n’est pas sans doute à l’abri de toute illusion, de toute erreur, de l’ascendant d’un parti politique, et parfois même du prestige passager d’un homme; mais comment serait-elle corrompue dans le sens matériel et vulgaire admis par l’illustre publiciste? Le seul danger pour elle serait de tomber jamais sous la pression illimitée d’une opinion extérieure, d’être entraînée par le flot démocratique, en un mot d’accepter la souveraineté de la foule, au lieu des influences de la raison, de la justice et de l’intérêt public.

C’est là en effet pour les assemblées représentatives une autre source de corruption possible, la domination par en bas, l’action des masses au lieu du gouvernement de l’intelligence, la force au lieu du droit, le nombre au lieu des lumières. Au temps où écrivait Montesquieu, ce dernier danger n’aurait pu apparaître que dans une perspective fort lointaine, et que l’expérience d’un passé historique encore récent devait rendre bien défavorable et bien suspecte. L’Angleterre se souvenait en effet des réformes électorales essayées durant la république et sous Cromwell. On avait fort accru le nombre des électeurs; mais comme le droit commun était sans cesse violé, et le pouvoir arbitraire des majors-généraux partout prédominant, il n’y avait eu ni élections libres, ni chambres régulières et durables. Quelques débris vivaces du vieux droit anglais avaient encore lutté çà et là contre le despotisme militaire; mais le nombre plus ou moins grand des électeurs, la part faite au pauvre peuple, comme disait le puissant dictateur, n’avait été de rien dans cette résistance. Quand le mouvement est violent et sans contrôle, il entraîne la foule et la précipite d’autant plus qu’elle est plus nombreuse.

Cependant un autre et moins grave abus, l’inconvénient du suffrage inégal et restreint, avait dû se produire et choquer davantage, à mesure que l’Angleterre s’était éloignée de la date de ses deux révolutions, et qu’elle étendait et affermissait sa laborieuse liberté. Dès le milieu du XVIIIe siècle, malgré quelques bills de ré-