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porté en Grèce ; mais cette fois Santa-Rosa n’était plus là. « Au moment où je montais à bord, dit-il, le second du navire m’a demandé s’il était vrai que mon ami eût été tué. Je ne puis dire l’impression que m’a causée cette question en ce lieu et en cet instant. Bientôt tout se tait ; on n’entend plus que le pas du capitaine sur le pont et le murmure des ondes du golfe fatiguées par le bâtiment. Il y a quelque chose de solennel dans un départ en mer, surtout quand le silence de la nuit porte à la méditation. — Je retourne aujourd’hui vers la civilisation ! » Collegno ne voulut pas même devoir aux Grecs le prix de son premier passage, et il le fit remettre aux députés helléniques en ajoutant ces fermes paroles : « dans le cas où le gouvernement grec aurait eu de graves motifs pour ne pas nous employer, la franchise de notre conduite et le désintéressement de nos offres lui faisaient un devoir de nous le dire ouvertement. S’il eût agi ainsi, il ne porterait pas la responsabilité de la mort du comte de Santa-Rosa, lequel, indigné à bon droit de se voir ainsi traité, est allé combattre comme simple soldat, et a livré sa vie pour une cause qui n’était pas celle de sa patrie, pour une nation qui, dans la solennité funèbre célébrée en l’honneur des morts pour la défense de l’île de Sphactérie, n’a pas daigné prononcer son nom parmi les noms de ceux dont elle déplorait la perte. »

C’était la seconde et la dernière expérience de ce genre pour l’émigré piémontais. Évidemment Collegno quittait la Grèce avec un fier sentiment de dignité blessée ; il n’avait plus les illusions qu’il avait encore à son départ pour l’Orient, même après l’épreuve qu’il avait faite en Espagne. Ce serait cependant une singulière erreur de penser que ces déceptions eussent refroidi son âme et altéré ses convictions. Il croyait toujours aux causée justes, aux droits de la liberté et de l’indépendance ; il aimait la Grèce elle-même. Seulement il avait vécu et pratiqué les hommes ; il avait vu de près de quoi se composent souvent les affaires humaines ; en un mot, il avait l’expérience, et ce mélange d’une grande finesse pratique de jugement et d’une conviction morale supérieure à tous les mécomptes est peut-être le côté le plus curieux de son caractère. Si M. de Collegno eût été un émigré vulgaire, il eût trouvé sans doute encore plus d’un champ de bataille, plus d’une pause nouvelle à défendre ; mais il sentit que désormais il ne devait plus son épée qu’à sa patrie seule, et que, s’il ne pouvait pour le moment servir l’Italie comme soldat, il pouvait la servir encore d’une autre façon, par le travail, par l’étude, par la dignité de sa vie et de ses actions. Il comprit, comme le dit M. d’Azeglio, qu’il y avait du mérite à faire peu quand il n’était pas possible de faire beaucoup, et que c’était quelque chose de traverser sans se laisser atteindre les ingrates et obscures épreuves de l’exil. Alors commença pour M. de Collegno toute une vie