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net, rien qui répondît à ses opinions et à ses principes. La cause de l’indépendance grecque était mieux faite pour séduire un Italien. Santa-Rosa se jeta dans cette entreprise avec l’énergie d’un homme ardent, à qui l’exil et l’inaction pesaient, et qui sentait d’ailleurs chaque jour le sol de l’Europe se dérober sous ses pieds. « Quand on a une âme forte, disait-il, il faut agir, écrire et mourir. » La Grèce devait aussi avoir plus d’attraits que l’Espagne pour Collegno, et les deux proscrits, facilement gagnés à cette cause nouvelle, quittèrent l’Angleterre le 5 novembre 1824, à bord de la Little Sally, emportant ostensiblement du moins les plus magnifiques promesses des envoyés helléniques à Londres. Un mois après, ils étaient à Napoli di Romanie. Ici encore cependant qu’arriva-t-il ? Le gouvernement grec reçut avec froideur les deux émigrés piémontais ; il recula et eut peur de se servir de deux hommes qui s’étaient mis en rébellion contre la sainte-alliance. Santa-Rosa, impatient et déçu, était réduit à servir en soldat, à prendre l’habit du pallikare, et à s’aller faire tuer dans un combat obscur, à la défense de l’île de Sphactérie. Quant à Collegno, il allait s’enfermer à Navarin, où, moins par une délégation du pouvoir que par la force des choses, il se trouvait être une sorte de commandant du génie inavoué, et pourtant réel, dans la citadelle assiégée par Ibrahim-Pacha. C’est l’histoire de cette défense de trente jours que Collegno raconte dans son Diario dell’ assedio di Navarino, et ces pages volantes d’un exilé ont je ne sais quelle grâce ingénieuse et attachante. Lorsque Collegno raconte la marche sur Navarin, il ne s’arrête pas précisément à décrire l’infanterie commandée par l’évêque de Modon ; il se laisse attirer par tout ce qu’il voit dans la campagne grecque ; l’officier disparaît, et l’homme parle. « dans la vallée, après Choris, dit-il, est une petite maison à moitié détruite sur le bord d’un ruisseau, et un peu après nous trouvons une belle cascade qui fait encore tourner la roue d’un moulin. Il y a de la mélancolie à voir la nature obéissant à l’impulsion qui lui a été donnée, même après la disparition des hommes qui ont cherché à utiliser cette force. Qui sait depuis combien de temps cette roue continue à tourner inutilement ? Je ne sais comment cette roue me remet en mémoire la sphère de Jean-Paul Richter, qui tourne et tourne sans cesse sur un cadran où les heures ne sont pas marquées. »

Une fois dans la citadelle assiégée cependant, le nouveau commandant du génie veut faire quelque chose ; il prépare un rapport pour démontrer la nécessité de certains travaux de défense, et ici commence à se révéler la situation réelle d’un officier européen au milieu des Grecs. Le rapport de Collegno est lu dans une assemblée de généraux, et chaque article éveille une indescriptible hilarité. Quand on en vient à la proposition de faire des terre-pleins pour