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insouciance. Par malheur, il n’a pas quatorze ans encore, et son inexpérience juvénile l’expose à d’étranges mésaventures; on dirait celles que le capitaine Marryat accumule sur la tête de son Peter Simple. Cependant on fait droit à ses demandes réitérées. Il prend, à bord d’un brick de transport, non pas tout à fait le poste de combat qu’il ambitionnait, mais un service actif, qui compte, et qui peut former un homme. Il porte à Ostende, à Heligoland, ces approvisionnemens de guerre qui ont trouvé leur emploi sur le champ de bataille de Waterloo. Sa haine des Français, des mounseers, comme il dit, y trouve enfin une demi-satisfaction. Mais quoi! Waterloo même va le désarmer et terminer brusquement cette carrière ébauchée. Le 10 juillet 1815, le brick l’Ernest, que montait Douglas, charge dans les Dunes, à destination de Sheerness, quarante-sept blessés, deux femmes veuves, deux enfans orphelins, tristes débris de la grande bataille livrée vingt jours auparavant, et qui avait dignement clos l’épopée impériale. Le 21 octobre suivant, le jeune volontaire, licencié par l’amirauté, dit adieu, non sans regret, au pavillon, à l’uniforme, aux rêves de gloire. Il ne s’agit plus de savoir si jamais il gagnera la pairie, comme Nelson, mais si demain, comme le premier venu, il gagnera son dîner.

Pendant qu’il naviguait en effet, les affaires de la famille n’avaient point prospéré, bien loin de là. Le théâtre de Sheerness était en pleine déconfiture, et le directeur, exproprié, ne savait plus de quel bois faire flèche. Abattu par l’âge autant que par les coups répétés de la fortune, M. Samuel Jerrold ne pouvait plus compter que sur l’intelligence et l’énergie de sa femme, devenue le véritable chef de cette famille désolée. Elle partit pour Londres, laissant à Sheerness, en attendant qu’elle les appelât dans la capitale, Douglas et sa sœur sous la garde du vieux père. Ils passèrent ainsi tout l’automne; mais le 1er janvier 1816 ils débarquèrent à Londres, et Douglas faisait connaissance du même coup avec les brouillards et les voleurs de cette immense ville, celle où il devait désormais vivre, lutter et mourir. Il y débutait mal, transi de honte et de froid, car il s’était laissé dérober son surtout, et la matinée était glaciale. A peine remis de ses premières émotions, et un soir qu’il avait promené de tous côtés l’uniforme dont il se parait encore, il imagina d’entrer au théâtre Adelphi (qui s’appelait alors le théâtre de Scot). Au moment où il s’engageait dans les couloirs obscurs, un inconnu lui barra le passage. « C’est ici qu’on paie, » lui dit, la main tendue, ce farouche argus, et Douglas paya, comme de raison. Quelques pas plus loin, et comme il avançait en toute assurance, une voix irritée le fit retourner. « C’est ici qu’on paie, » lui criait un petit vieillard, passant la tête au guichet d’un petit bureau caché