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lènes et parmi les Roumains. Il est vraisemblable qu’elle se rattache aux religions que le christianisme a remplacées à l’est de notre continent, et qu’on a encore si peu étudiées. En effet, si nous avons des détails de toute espèce sur le polythéisme gréco-romain, il n’en est pas de même du culte des anciens Slaves. La religion des Daces est encore moins connue. Une croyance analogue au druidisme, apportée sur les rives du Danube par les colonies celtiques, s’était mêlée à l’ancien fétichisme[1] et à des traditions pélasgiques et persanes[2]. L’imagination populaire a conservé de vagues souvenirs de ces époques lointaines. Une foule de légendes sont répandues parmi les paysans sur Baba Dokia, qui paraît avoir été le génie protecteur de la Dacie. Il est impossible qu’il ne se soit pas conservé, soit dans les contes, soit dans les ballades, beaucoup de débris de ces dogmes antiques, dont une étude plus approfondie des légendes roumaines finira sans aucun doute par constater la véritable origine.

Quelle idée peut-on se faire en définitive de la nationalité roumaine d’après les chants populaires? Le peuple apparaît au premier coup d’œil comme partagé en deux fractions par la configuration même du pays, les montagnards et les gens de la plaine. Qui ne sait la différence tranchée qui a existé longtemps en Écosse entre les lowlands (basses terres) et les highlands (hautes terres)? En Suisse, cette différence est aussi marquée qu’au moyen âge. Dans les gorges alpestres des cantons catholiques vivent de rudes pasteurs qui ne ressemblent ni par la religion, ni par les idées, ni par les goûts, aux citadins de Berne, de Zurich, de Bâle ou de Lausanne. Partout la montagne est essentiellement stationnaire et conservatrice. Les highlanders se sont battus sous les drapeaux des Stuarts, les petits cantons de la Suisse sous les étendards du Souderbund; les Tyroliens sont en Autriche le plus ferme appui de l’ultramontanisme et de la monarchie absolue. La Roumanie ne présente pas heureusement cette scission profonde dans l’âme de la patrie. Entre le montagnard et l’homme de la plaine, il y a unité de croyances religieuses et politiques. Seulement la diversité des usages est fort grande. L’habitant des Karpathes n’a point encore subi l’influence des mœurs françaises, et tous les touristes qui croient s’être fait une juste idée de la physionomie de la nation en parcourant les rues de Giurgevo, de Galati ou de Iassy<ref> Ces trois villes rappellent trois grands peuples. Giurgevo doit son nom moderne à un fort bâti par les Italiens de Gènes, Galati est la ville des Galates ou Gaulois, Iassy garde son nom latin (lassiorum municipium). <//ref>, ressemblent assez à ces voyageurs qui

  1. Caractérisé par le culte du bœuf Urus, dont l’image se trouve sur le revers de plusieurs médailles daces.
  2. M. César Bolliac a découvert en 1846 un bas-relief représentant un sacrifice à Mithra, le médiateur du culte des mages. Les personnages portent le costume des Daces de la colonne trajane. D’après M. Cogalniceano, Histoire de la Dacie, Zamolxis, le législateur pythagoricien des Daces, aurait été aussi divinisé avec le temps.