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Jovitza, ayant vu la fille du kadi, la nièce du sultan, et en étant devenu amoureux, prend a un poulain, un jeune zméou, » et se met en route pour la rejoindre. Arrivé à la porte d’un « jardin plein de fleurs qui souriaient aux cadines (dames turques) et de cadines qui souriaient aux fleurs, » Jovitza demande une fleur « afin de soulager son âme. » La fille du kadi, « rougissant à sa voix, » lui en fait porter trois par une de ses compagnes, « une jeune adolescente aux tresses blondes ; » mais Jovitza, tout en serrant sur son cœur ces gages d’amour, n’est pas complètement satisfait. « Toi, la fille du kadi, la nièce du sultan, dit-il, viens m’apporter une fleur, viens me la donner de ta propre main, afin de soulager mon âme. » La belle Turque, ne pouvant résister à cette prière, choisit un œillet, et tandis qu’elle le présente à Jovitza, celui-ci se penche sur sa selle, enlève la jeune fille « comme une plume légère, » la place devant lui sur son cheval, et s’élance fièrement avec sa précieuse conquête.

Cette impétuosité dans la passion éclate avec beaucoup plus d’ardeur dans la ballade Soarele si Luna (le soleil et la lune). L’amour inspire à Bogdan et à Jovitza une assez grande indifférence en matière de religion ; dans Soarele, cette indifférence se transforme en révolte, révolte d’autant plus caractéristique qu’elle a pour théâtre le ciel lui-même, le séjour de la paix éternelle. Le Soleil, personnifié comme au temps du paganisme, le Φοῖβος Ἀπόλλων (Phoibos Apollôn) du divin Homère, n’ayant trouvé aucune femme digne de lui, aucune qui égalât en beauté sa sœur Hélène, « la belle Hélène aux longs cheveux dorés, » lui déclare qu’il est décidé à l’épouser. Hélène lui ayant répondu que « c’est péché, énorme péché, » le Soleil monte vers le trône de « l’empereur qui n’a pas d’égal, » pour lui faire part de sa résolution. Le « seigneur Dieu, » l’ayant écouté en silence, le mène dans l’enfer et dans le paradis; puis il lui dit avec sévérité :


« — Soleil, Soleil radieux, — toi qui es pur de tout péché, — tu as visité le paradis, — tu as parcouru Teufer ; — choisis toi-même entre les deux!

«Mais le Soleil répondit gaiement : — Je choisis l’enfer de mon vivant, — pourvu que je ne sois plus seul, — mais que je vive avec ma sœur Hélène, — Hélène aux longs cheveux dorés. »


Malgré les prodiges que l’Éternel opère pour empêcher cette union coupable, le Soleil s’obstine dans sa révolte. Dieu alors change Hélène en Lune, et les condamne l’un et l’autre « à se suivre des yeux dans l’espace sans pouvoir jamais se rencontrer. » Ne dirait-on pas que le chantre des Métamorphoses, relégué au milieu des Gètes, leur a enseigné par quel moyen la Divinité punit les passions criminelles, et que le souvenir de ses discours s’est conservé dans la contrée où il a