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parlent avec un enthousiasme souvent dithyrambique de la beauté des « femmes latines à la taille svelte. » La poésie populaire, vive et sincère expression du sentiment national, nous entretient sans cesse des Roumaines, pareilles « à la fleur du muguet, » pour qui l’on épuise toutes les formules que peut suggérer l’admiration. Ces « tourterelles chéries, » ces vierges « aux cheveux dorés, » ces « fées enchanteresses, » aussi « belles que des impératrices, blanches et ravissantes comme des lis d’argent, » dont les lèvres paraissent « semblables à une fleur rose, » sont les femmes les plus respectées de l’Europe orientale. On a déjà ici même remarqué avec raison que la condition des Roumaines est très supérieure à celle que les mœurs ont faite aux femmes en Servie, en Bulgarie, dans la Tsernagora, etc. « La femme, dit M. H. Desprez, au lieu d’être esclave ou séquestrée, règne au foyer roumain; elle en fait librement les honneurs. Le mari ne songe nullement à la cacher aux regards curieux et charmés du visiteur inconnu, et comme elle sait la puissance pénétrante des femmes de sa race, elle manque rarement de paraître pour recueillir d’humbles hommages[1]. »

Cette puissance pénétrante explique l’amour que la Roumaine inspire, et dont les ballades nous donnent une juste idée. Cet amour n’est point calme comme parmi les Germains; c’est une passion hardie et obstinée. Dans les. ballades intitulées Bogdan et la Fille du Kadi, non-seulement l’amour est assez fort pour triompher de tous les obstacles, mais il ne se préoccupe pas même de la différence des religions, qui élevait autrefois entre les diverses fractions du genre humain des barrières complètement infranchissables. Bogdan, « jeune prince à la taille fine et élancée, » avoue à son père, à l’impitoyable adversaire de l’islam, que « la fiancée de son âme » est fille d’un renégat. Mais qu’importe? « elle a ravi ses yeux, elle est vive comme un oiseau et douce comme une fleur. » Ces motifs paraissent si forts au terrible « Stéfan-Voïvoda, » qu’il accorde avec son consentement de riches présens de noce. Le renégat, moins tolérant que le domnu de Moldavie, ordonne de fermer les portes de son manoir dès qu’il aperçoit Bogdan et son cortège; mais l’impétueux jeune homme « fait prendre un élan superbe » à son coursier et franchit les murailles du château. Après être sorti avec le même bonheur de plusieurs autres épreuves, il s’empare de sa fiancée, « couvre ses beaux yeux de baisers ardens, » et, la déposant sur « les coussins d’un riche radvan » (ancienne voiture), il part avec elle, accompagné « d’une foule d’autres voitures chargées de belles dames, de vrais jardins remplis de fleurs. »

  1. Revue des Deux Mondes du 1er juin 1848.