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dissimulés. Sans doute les traités conclus avec les padishahs avaient en principe sauvegardé tous les droits essentiels des Roumains. Mircéa 1er, qui signa le premier traité avec les Ottomans, n’était pas homme à faire des concessions excessives. Etienne mourant reconnut lui-même la nécessité pour les Moldaves d’un arrangement pareil à celui que les Valaques avaient accepté. Les Roumains conservaient leurs droits civils et religieux : ils élisaient leurs princes, ils pouvaient même interdire l’exercice du mahométisme sur leur territoire; mais l’histoire des protectorats est toujours et partout la même. Si le protégé est fort, il se fatigue d’être vassal; s’il est faible, il finit par se transformer en sujet plus ou moins docile. Assurément jamais le croissant, qui a si tristement brillé sur les murs d’Athènes, de Belgrade et de Moscou, n’a eu la gloire de remplacer la croix, signe auguste de la liberté du monde, sur les tours de Bucharest et de Iassy. Toutefois nos suzerains s’habituèrent à s’immiscer dans nos affaires à mesure que l’esprit militaire s’affaiblissait parmi les « fils du Capitole. »

Codréan nous fait assister au début de ces envahissemens. Le Turc ne parle pas encore en maître : il nomme le domnu mon prince, mon seigneur, il se jette à ses genoux pour obtenir la grâce qu’il sollicite; mais déjà Codréan «le brave brigand, » Codréan «l’homme intelligent et expérimenté, » peut s’exprimer ainsi : «O mon prince, n’ajoute pas foi aux paroles perfides des étrangers! » Le poète, organe des sympathies et des rancunes populaires, préfère évidemment les brigands aux envoyés de Stamboul et même aux princes, quand ils leur obéissent servilement. Le brigand, qui fait ici son apparition pour la première fois dans les ballades roumaines, ne saurait être confondu avec les malfaiteurs de l’Italie ou de l’Espagne. Il est évidemment le frère du klephte hellénique et du haïdouk des Serbes et des Bulgares. Assurément il ne professe pas un grand respect pour la loi, parce que rien ne lui paraît légitime quand une volonté étrangère peut influer plus ou moins puissamment, comme cela arrivait en Roumanie, sur les décisions des chefs de l’état, ou quand la loi n’est plus que l’expression des caprices des pachas, comme cela avait lieu en Grèce ou en Servie. Aussi, loin de rougir de la lutte qu’il soutient contre le pouvoir, le brigand, qui se donne à lui-même le nom de brave, et à qui le prince lui-même ne refuse pas ce titre, Codréan, saisi par la potira et mené à Iassy, «où règne Iliech-Voda, » Codréan n’éprouve-t-il aucun embarras à répondre au domnu :


«Altesse princière (domnule, maria ta), je jure, par le nom de la sainte Vierge, que je n’ai pas tué de chrétiens depuis que je parcours le pays en brave. Quand je faisais rencontre d’un chrétien, je partageais avec lui en