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ques. Il pensait, comme les Romains ses ancêtres, que « pour combattre un ennemi, la ruse et la force sont également bonnes. » De petite taille, ainsi qu’Alexandre de Macédoine, Guillaume le Conquérant et Napoléon, il était actif et infatigable. Sa sobriété était remarquable, même en Orient. Quoique porté à la colère, il savait dissimuler mieux que personne. Impétueux dans l’attaque, il était calme et résigné dans les revers. Convaincu qu’il fallait frapper de terreur des voisins impitoyables, il versait leur sang par torrens, et luttait de représailles avec les musulmans eux-mêmes. Après la triple victoire qu’il remporta à Leipnitz sur les Tatars, il fit décapiter Carsik, fils de le-ur khan Maniak, et empaler les ambassadeurs du khan, qui réclamaient avec arrogance le jeune prince prisonnier. Lorsqu’il eut écrasé les Ottomans à la bataille du Burlatu, il jeûna pendant quarante jours et ordonna qu’on empalât ses prisonniers. Le roi de Pologne Jean-Albert s’étant jeté sur la Moldavie avec une armée de quatre-vingt mille hommes, composée de Polonais, de Galiciens et de Russes, Etienne tailla en pièces cette armée dans la forêt de Cosmine, attela ses vingt mille prisonniers à des charrues, leur fit labourer et ensemencer les champs qu’on a depuis nommés la Forêt-Rouge, parce qu’elle était née dans le sang des vaincus. Les rigueurs d’Etienne n’empêchent point la poésie populaire de présenter le vainqueur de Vasloui et de Romano comme le prince chrétien par excellence. Qu’on se rappelle les idées qui dominaient au moyen âge. Les croisés s’enivrèrent de carnage à la prise de Jérusalem ; même au XVIIe siècle, les guerres ordonnées par Louis XIV, — M. Michelet l’a prouvé, — avaient un caractère atroce : il suffit de citer l’incendie du Palatinat. Gardons-nous donc de reprocher au plus grand homme de la Roumanie, à cet Etienne qui fut à la fois un législateur, un diplomate et un héros, d’avoir eu les défauts de son temps. En le peignant avec des traits vraiment épiques, la poésie populaire des Roumains lui a conservé sa véritable physionomie.

Le domnu, suivi d’un immense cortège, se dirige à cheval vers l’église de Vasloui :


« Par un beau jour de grande fête — se levait un soleil radieux — qui répandait la joie dans le monde — et le couvrait d’un voile d’or. — Les cloches sonnaient à grandes volées; — les clochers tremblaient sur leurs bases. — Les étalons, couverts d’écume, — mordaient leur frein d’impatience. — Les drapeaux se dressaient dans l’air, — puis s’inclinaient respectueusement;— c’est que soudain venait d’apparaître, — brillant comme un second soleil, — le prince Etienne le glorieux, —le prince de Moldavie l’invincible ! »


Arrivé près de l’entrée du temple, il entend la voix d’un laboureur