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sources militaires semblaient mettre à l’abri de leur fureur, on peut s’imaginer quelle épouvante répandaient dans l’Europe orientale « ces fils du diable et de la sorcière, » ces farouches nomades qui voulaient « rendre au monde sa beauté primitive » en le transformant en un désert, et qui construisaient des pyramides avec cent mille têtes coupées ! Attila, le fléau de Dieu, son fils Ellah, les kagans (chefs) des Avares, firent successivement des vallées que protègent les Karpathes leur séjour favori. À la tête des Magyars, peuple touranien comme les Huns et les Avares, Almus conquit au Xe siècle la partie des états d’Attila nommée « pâturages des Roumains ; » Tuhutun, son lieutenant, soumit l’Ardialie ; Batou, un des successeurs du Mongol Gengis-Khan, après avoir vaincu les Russes, franchit le Dniester et s’établit en Moldavie, où la ville de Botosani rappelle son séjour. Même après la fondation des principautés, les Tatars, tout-puissans en Russie et en Crimée, firent courir à la nationalité roumaine de perpétuels dangers.


« Là-haut sur le plateau du Dniester, au bord de l’horizon et près de la source Yalpéou[1], là où les zmeïnes[2] vont accoucher, là où les lionnes vont se désaltérer, là où les zernines[3] se rassemblent, on aperçoit une multitude et encore une multitude de tentes de toute grandeur.

« Au centre, il s’en élève une, la plus haute, la plus belle de toutes. Sa forme est ronde, et elle est tendue de châles de Perse de couleur orange. Elle est liée avec des cordons de soie blanche à des poteaux d’argent. On dirait une tente impériale.

«Quel est l’habitant de cette tente splendide, l’habitant et le maître ? C’est Ghiraï, le vieux khan, dont la ceinture est ornée d’un riche kanjar. De nombreux Tatars l’entourent, des Tatars aux yeux ronds et petits comme les trous d’un crible ; ils restent tous agenouillés sur un tapis à la laine frisée. »


Ce début, plein de vie, nous transporte dans la Moldavie du XVe siècle, le siècle d’Etienne le Grand, époque véritablement extraordinaire, où la Roumanie semblait voir l’Orient tout entier acharné à sa perte. Infidèles et catholiques s’entendaient fort bien alors contre les Moldaves schismatiques. L’armée d’Alexandre le Bon fut écrasée en 1431 par les Polonais et les Tatars réunis. Dans l’intervalle qui s’écoula entre ce désastre et la victoire de Pasta, où Alexandre II anéantit l’armée polonaise, la Moldavie fut exposée à une de ces razzias dont parle la ballade intitulée le Roumain Groué Grozovan. Cette ballade nous montre dans les guerriers moldaves l’énergie indomptable qui fait comprendre les quarante victoires du

  1. Rivière de la Bessarabie.
  2. Femelles des zméi, dragons, monstres fantastiques. Les zméi ont donné leur nom à la grande ville roumaine de Zmeil.
  3. Monstres femelles analogues aux zméines.