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il y a là des idées, de l’audace, un sentiment élevé des devoirs de l’écrivain, un vif désir d’émouvoir la foule, au lieu de se résigner comme tant d’autres à l’amusement des oisifs.


III.

C’est au théâtre surtout que le poète devrait se préoccuper de l’enseignement, de l’émotion féconde, et non pas du simple divertissement des esprits. Si le roman de nos jours obéit peu à ces hautes inspirations, s’il n’en offre du moins que de rares et imparfaits témoignages, le théâtre, j’en ai peur, sera plus stérile encore. Il y a longtemps que la poésie dramatique est la partie faible des lettres allemandes. Depuis le succès du Gladiateur de Ravenne, aucun drame important ne s’est produit sur la scène. M. Halm avait prouvé cependant que, malgré l’absence d’un foyer commun, malgré la dispersion des théâtres, malgré l’indifférence du public et le découragement des poètes, il est possible encore de vaincre tant d’obstacles et de passionner l’Allemagne entière. Que nous offre le théâtre de ces dernières années? Une tragédie de M. Brachvogel, l’auteur de ce drame de Narcisse dont nous avons raconté ici les extravagances. Adalbert de Babanberg, c’est la tragédie en question[1], atteste chez M. Brachvogel un progrès assez marqué; il s’en faut bien cependant que l’Allemagne puisse saluer en lui un émule de M. Frédéric Halm. Son style, moins boursouflé que dans Narcisse, est toujours déclamatoire. Si l’effet en est moins choquant cette fois, c’est que le manque de mesure et de justesse ne devait pas être aussi sensible dans le sujet traité par le poète. L’auteur de Narcisse prétendait peindre la France du XVIIIe siècle sous le règne de Mme de Pompadour; l’auteur d’Adalbert de Babanberg nous transporte dans la période la plus sombre du moyen âge. La scène est au Xe siècle; un seigneur féodal dédaigné par la fille du duc de Saxe entre dans les ordres et devient bientôt évêque, afin d’accomplir plus aisément ses projets de vengeance sous le manteau de la religion. C’est la théorie que le don Juan de Molière explique si bien à Sganarelle. La peinture de cette tartuferie en des âges barbares dépassait les forces de l’auteur : il a écrit, non pas une tragédie, comme il l’annonce, mais un honnête mélodrame, tout plein de crimes et de vertus. Son évêque est un scélérat qui, par la ruse et la violence, fait périr les plus nobles enfans de l’Allemagne. Peut-être, sur tous ces cadavres, s’élèverait-il jusqu’au trône du saint-empire, si une vieille fée carlovingienne, une vieille princesse de quatre-vingts ans, la

  1. Adalbert von Babanberg. Ein Trauerspiel, von A. E. Brachvogel, Leipzig 1858.