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des services. Le Mozart de M. Héribert Rau, pour ne citer qu’une seule de ces œuvres, n’est pas une composition irréprochable : il y a des puérilités, des vulgarités; il y a aussi d’excellentes parties, et l’impression dernière en définitive n’est pas défavorable. Le chef des écrivains qui mettent en récits et en drames leurs observations de voyageur, c’est l’intrépide M. Gerstaecker, le romancier du Grand-Océan. Il y a quelques années, M. Gerstaecker avait donné une série de tableaux très émouvans sur les pionniers de l’Arkansas, les pirates du Mississipi et les chercheurs d’or de San-Francisco; il s’empare aujourd’hui de l’a Polynésie et aborde en vainqueur dans la Nouvelle-Hollande. Aux îles Sandwich, aux îles Marquises, sur les côtes de l’Australie, M. Gerstaecker trouve des romans, comme un peintre trouverait des paysages et des costumes. Ses derniers récits, les Deux forçats, roman australien, et Tahiti, roman de la mer du Sud[1], sont bien l’œuvre d’un homme qui sait agir et voir. Je lui conseille seulement de ne pas trop mêler d’aventures romanesques à ses observations de voyageur et d’historien. Plus ces observations seront nettes, plus elles seront précieuses. L’auteur de Tahiti n’a pas la plume de Bernardin de Saint-Pierre; ce qu’on cherche dans ses récits, qu’il le sache bien, ce sont des documens, et non des idylles. Les plus curieuses pages de son roman de Tahiti, ce sont les descriptions de l’île, les tableaux de mœurs, la reine Pomaré avec sa cour, la lutte de l’influence française et des missionnaires anglicans, les intrigues de Pritchard, maintes scènes d’histoire contemporaine qui paraissent appréciées d’une façon assez impartiale par un témoin bien informé. Le portrait de la reine Pomaré ou plutôt de la reine Aimata (l’autre nom est un sobriquet) est dessiné avec une précision piquante. L’auteur n’a pas craint de mettre en scène tous les personnages qui ont joué un rôle dans ces événemens, l’amiral Dupetit-Thouars, le missionnaire Rowe, Mme Bélard, femme du consul américain, et cette liberté d’allures ne lui messied pas.

Les succès de M. Gerstaecker ont encouragé d’autres écrivains à mettre aussi en roman leur voyage en Amérique. C’est un fait à signaler que l’Amérique n’excite plus comme autrefois l’enthousiasme des écrivains allemands. Il n’y a pas bien longtemps que l’Allemagne accueillait avec enthousiasme les mâles peintures de M. Charles Sealsfield; la démocratie américaine, glorifiée par l’auteur de Nathan, apparaissait aux imaginations les plus graves comme l’idéal d’une société virile. Tandis que des milliers d’émigrans partaient

  1. Die beiden Sträflinge. Australischer Roman, 5 vol. Leipzig 1857. — Tahiti, Roman aus der Sudsee, von Friedrich Gerstaecker; 4 vol. Leipzig 1857.