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sillons, comme une bouffée de printemps, rafraîchirent les intelligences. Aujourd’hui ce qui fut un remède devient un mal : on avait cherché d’abord le naturel, on finit maintenant par l’affectation et le parti-pris. Un homme dont on ne peut nier l’activité aventureuse, M. Charles Gutzkow, a compris ce que demandait vaguement l’instinct public : il a voulu se mesurer avec les grands sujets. Dans le Magicien de Rome, il reprend l’œuvre commencée, il y a cinq ans, avec les Chevaliers de l’esprit : vaste tableau des agitations et des espérances de l’Allemagne, tentative louable, mais dont j’ai constaté le succès médiocre en essayant de l’expliquer. Ardeur, persévérance, voilà ce qui manque aux principaux représentans de l’imagination germanique. Ils sont rares, les écrivains qui savent concentrer leurs forces. Le talent s’éparpille en petites œuvres, très fines parfois, mais trop peu fécondées par la méditation. Deux conteurs que nous avons déjà rencontrés parmi les poètes, M. Paul Heyse et M. Maurice Hartmann, viennent de publier des recueils où brillent des qualités exquises. Les Nouvelles[1] de M. Paul Heyse sont de remarquables études d’après les maîtres italiens; on y sent un homme amoureux de Boccace et de Machiavel, qui essaie de greffer les fleurs du midi sur les bruyères d’Allemagne. Il corrige ce qu’il imite; son style est net, brillant, son inspiration est chaste autant que passionnée. J’ai lu avec un vif plaisir les Récits d’un Conteur errant[2], par M. Maurice Hartmann. Le poète de la Coupe et l’Epée excelle à symboliser dans un tableau rapide les impressions des lieux qu’il a visités. Du Languedoc au Bosphore et du Rhône au Danube, il a recueilli maintes indications et les a transformées bientôt en de vivantes peintures. Guillaume l’aveugle, les Cheveux d’or, Gloria, la Robe de Nessus, une Histoire hindo-germanique. Miss Ellen, les Histoires orientales-occidentales, ce sont là autant de modèles, si l’on ne demande à une narration qu’une touche légère et fine. Je crois que M. Maurice Hartmann peut donner plus et mieux.

Tandis que les plus ingénieux artistes se résignent à des sujets sans portée, le domaine qui leur appartient de droit, l’histoire, la politique, le tableau de la société contemporaine, est envahi par des écrivains sans mission. Parmi tant de romans qui se proposent de peindre le XIXe siècle, et qui n’en donnent que des caricatures, en voici un qui suffit pour caractériser les autres. Nous sommes dans le désert du Sahara; le cheik Atjem, chef des Tuaregs, vient d’ex- terminer les Beni-Azzi, implacables ennemis de sa race; un seul homme a échappé au massacre, c’est un certain Zerga, qui jure de

  1. Novellen, von Paul Heyse.
  2. Erzaehlungen eines Unstaeten, von Moritz Hartmann; 2 vol. Berlin 1858.