dant d’impérieuses obligations envers l’Allemagne : nul poète n’a été accueilli avec autant de bienveillance; son premier recueil de poésies, publié il y a une quinzaine d’années, a déjà eu quarante-cinq éditions! Je ne sais si Uhland lui-même a jamais eu pareil succès. Ce qui avait charmé le lecteur dans les vers de M. Emmanuel Geibel, c’était la pureté des sentimens, la noblesse de la forme, des promesses encore plus que des résultats, mais des promesses juvéniles, que l’Allemagne entière encourageait avec confiance. Aujourd’hui M. Geibel publie, après bien des années, son second recueil de poésies[1], et certes l’occasion était belle pour payer enfin sa dette. Avec quel bonheur on eût entendu cette voix harmonieuse relever les âmes et encourager les esprits! Un poète, un vrai poète, qui, par la colère ou l’enthousiasme, réveillerait aujourd’hui les consciences, quelle nouveauté ce serait pour l’Allemagne! M. Geibel n’a pas eu cette ambition; il emploie son rare talent de style à des frivolités. Rien, excepté la forme, n’assigne une date à ces strophes; elles auraient pu être écrites il y a cent ans, un poète élégant et banal pourra les recommencer dans un siècle. Même remarque à faire sur les poésies de M. Paul Heyse. Prendre un conte de Boccace, l’arranger et le rectifier savamment, introduire dans le récit maintes études psychologiques, lutter de précision et de grâce avec la prose du narrateur italien, ce peut être là un excellent exercice de style; ce n’est pas l’œuvre d’un écrivain qui se trouve placé, avec trois ou quatre autres, au premier rang de sa génération. Lorsqu’on lit la Fiancée de Chypre de M. Paul Heyse, on souffre de voir un jeune maître qui veut toujours rester disciple et qui n’ose pas oser[2]. M. Bodenstedt au moins ne s’en tient pas aux œuvres du passé; s’il se résigne trop aisément au rôle de traducteur, ce sont des poètes contemporains qu’il traduit, et ses vaillantes investigations sont des conquêtes. Il avait traduit Pouchkine et Lermontof, il nous donne aujourd’hui un recueil de chants russes, la belle ode de Derjavine à Dieu, et les vives chansons du poète populaire Koltzov[3]. À ces révélations de la poésie des steppes, il mêle ses émotions personnelles: je voudrais qu’il le fît plus hardiment. M. Bodenstedt est une nature pleine de sève; son inspiration est libérale et réfléchie : il a voyagé. Après avoir vu la Russie, la France, l’Orient, enfermé aujourd’hui dans sa studieuse retraite, il peut mettre à profit les trésors qu’il a recueillis au grand soleil; il ne lui manque plus qu’une seule chose, c’est
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