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« Silence aux cinq cents voix ! » il passerait infailliblement pour une âme féroce. Ajoutez que souvent aussi les critiques commentent et lisent les vers à charge de revanche. Peut-on demander, par exemple, à M. Hermann Marggraff de ne pas multiplier des comptes-rendus interminables sur des versificateurs insipides, quand lui-même, écrivain honnête, correct, appliqué, laisse là un beau jour son travail habituel, et sans vocation, sans nécessité,

Sans qu’un commandement exprès du roi lui vienne,


se met à publier son volume de vers? Laissons donc M. Hermann Marggraff et ses collaborateurs, laissons M. Rodolphe Gottschall, M. Thaddaeus Lau, M. Henneberger, et bien d’autres, laissons presque tous les recueils littéraires, le Morgenblatt aussi bien que l’Europa, et le Lillerarisches Centralblatt lui-même comme le Deutsches Museum, continuer patiemment leur nécrologe; ce sont les vivans que nous cherchons.

Nous serions heureux surtout de saluer quelque talent inconnu. Un talent qui surgit, un écrivain original qui se révèle, ce sont ces premières fleurs d’avril qui annoncent le rajeunissement de la terre. Toute âme d’artiste a une certaine façon particulière de considérer le monde, le monde moral comme le monde matériel. Quand un esprit qui s’ouvre en face de ce grand spectacle exprime spontanément dans une langue fraîche et vigoureuse les impressions qu’il a ressenties, il semble qu’un jour inattendu éclaire la création. Il y a longtemps que les lettres européennes n’ont éprouvé ces saines émotions du renouveau. Parmi tous les chanteurs de mélodies que l’Allemagne a vus naître en ces dernières années, le seul peut-être qui ait fait entendre quelques accens originaux est M. Louis Pfau, esprit juvénile, imagination ardente, qui manie la langue poétique avec une dextérité singulière[1]. Le caractère de son recueil, simplement intitulé Poésies, c’est une sorte de turbulence impétueuse et voluptueuse. Vous connaissez les vers d’Alfred de Musset :

Oh ! dans cette saison de verdeur et de force
Où la chaude jeunesse, arbre à la rude écorce.
Couvre tout de son ombre, horizon et chemin,
Heureux, heureux celui qui frappe de la main
Le col d’un étalon rétif...


Achevez cette citation de Don Paez, et vous aurez un résumé assez complet des inspirations de M. Louis Pfau. Ne croyez pas cependant qu’il imite le poète parisien. Forme et pensée, dans ses vers, tout est bien à lui. Ses maîtres, ce seraient plutôt les anciens héros

  1. Gedichte von Ludwig Pfau; 1 vol. Stuttgart 1858.