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retrouve en détail toute l’histoire de la langue de Goethe? Faut-il rappeler que M. Fichte, à la tête d’un groupe d’esprits dévoués, poursuit courageusement les adversaires du spiritualisme sur le terrain de la médecine et des sciences naturelles, tandis que MM. Ritter et Brandis maintiennent les traditions de l’histoire de la philosophie, et gardent, si je puis ainsi parler, le temple des antiques doctrines? Ai-je besoin de remettre en lumière cette vaillante école d’historiens, les Mommsen, les Sybel, les Häusser, qui détrônent en ce moment l’école studieuse, subtile, intelligente, mais trop froide et trop diplomatique, de M. Léopold Ranke? Ferai-je le dénombrement des orientalistes, des hellénistes, des germanistes? Quiconque veut élever son esprit, étendre ses vues, acquérir maintes idées fécondes, sous la condition de les rectifier à la française, peut aller moissonner dans ce pays, et n’en reviendra pas sans avoir lié sa gerbe; mais nous sommes de ceux qui croient que ces sévères travaux ne représentent pas toute la littérature. Si l’Allemagne n’était qu’un couvent de bénédictins, les œuvres scientifiques dont elle est justement fière finiraient par subir une déchéance inévitable. Qu’est-ce qui entretient le mouvement de la philosophie, de la théologie elle-même? Quelle sève les anime et leur fait porter de nouveaux fruits? C’est la vie morale de la nation, ce sont les besoins de son cœur et les aspirations de son esprit. S’il n’y avait pas à côté de la légion des savans une armée de laïques, c’est-à-dire un peuple qui vit, qui travaille, qui fait ou subit les événemens, qui en souffre ou s’en réjouit, qui a ses heures de tristesse, de découragement, de réveil généreux, d’action enfin ou publique ou privée, la philosophie et la théologie, condamnées à se nourrir d’abstractions, ne seraient bientôt plus que des exercices d’école. Les plus grands philosophes ont beau emporter notre esprit dans les sphères supérieures, ils sont le produit du temps et de la société qui les a vus naître. Chacun d’eux à sa manière exprime la vie morale du peuple auquel il appartient. Or cette vie d’un peuple, cette conscience d’un pays a bien des façons de se manifester; la plus vive et la plus fidèle, c’est la littérature d’imagination : poésie, roman, théâtre, toutes ces œuvres que le pédant dédaigne, mais dont l’historien sait la valeur, sont les confidentes de la pensée générale. Je veux savoir ce qu’elles nous révèlent aujourd’hui. Si même elles n’ont rien de précis à nous dire, si elles ne nous présentent qu’une image de désordre et de chaos, signaler ce chaos, tâcher d’en faire la description, d’en caractériser les symptômes, ce sera l’obliger peut-être à se connaître lui-même et à dégager enfin les élémens inconnus qu’il renferme. Dans le tableau que nous essayons de tracer, des écrivains d’une valeur très inégale doivent nécessairement trouver place. Un des caractères de